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« On sent une démocratisation »

« Quand un soignant emmène une personne au jardin, notamment une personne âgée, la fatigue naturelle s’installe et non celle induite par des médicaments. Le jardin va faire baisser l’anxiété », détaille Philippe Walch, président de la Fédération française Jardins, Nature et Santé.

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[JARDIN THERAPEUTHIQUE 11/17] A l’heure où les thérapies non médicamenteuses ont le vent en poupe et sont désormais recommandées et reconnues par la Haute autorité de santé, de plus en plus de jardins thérapeutiques fleurissent dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Rencontre avec Philippe Walch, entrepreneur paysagiste et formateur pendant 35 ans qui est aujourd’hui à la tête de la Fédération française Jardins, nature et santé.

Aménager un jardin thérapeutique au cœur d’un établissement social ou médico-social est-il un gage de bien-être ? L’enjeu n’est pas de soigner la pathologie, mais de proposer un cadre apaisant où les résidents, les professionnels et les familles peuvent se retrouver, loin de l’agitation de l’institution. Si le jardin peut être un outil mis à disposition des équipes pour mieux accompagner les publics en perte d’autonomie, une interrogation demeure : comment créer un jardin, le faire vivre au quotidien sans que la charge ne repose sur les épaules particulièrement sollicitées des soignants ?

ASH : Jardins thérapeutiques, jardins de soin, jardin de santé, derrière tous ces mots, les définitions sont-elles les mêmes ?

Philippe Walch : Pour le grand public, c’est exactement la même chose. Mais les puristes vont y mettre quelques bémols. Par exemple, le jardin santé, je trouve que ce terme induit des confusions même avec certains médecins qui y voient plutôt le jardin autour d’un parcours sportif ou de santé. C’est d’ailleurs un joli contresens. Pour le terme jardin de soin, on se rapproche du programme des soins de manière holistique, c’est-à-dire dans sa globalité avec les trois niveaux (mental, physique et psychique). Et puis vient le jardin thérapeutique ajoute une connotation qui résume tout. Le mot « thérapeutique » est très fort. L’objectif n’est pas de mettre les mains dans la terre, mais de se sentir bien en trois minutes chrono, rien qu’en sortant respirer l’air du jardin.

De plus en plus d’établissements aménagent des jardins thérapeutiques. En êtes-vous témoin ou acteur ?

Depuis 2018, je propose exclusivement des jardins thérapeutiques dans des unités de soins dans le Vaucluse. En 2015, c’était sporadique. Là maintenant, on sent une démocratisation. J’en suis le premier témoin avec 13 jardins réalisés sur mon territoire. Au sein de l’association, tous les concepteurs font au moins un ou deux jardins thérapeutiques par an, ce qui était inconcevable, il y a encore quelques années. La demande vient principalement des Ehpad. Ce n’est pas rare qu’un établissement s’adresse à nous, en jouant carte sur table : ils n’ont pas de budget, mais ils veulent répondre à un appel à projets et se rapprochent donc des spécialistes.

Comment s’explique cette montée en puissance des jardins thérapeutiques ?

La Fédération française Jardins, Nature et Santé (https://f-f-jardins-nature-sante.org) est née en février 2018 d’une volonté de praticiens du monde médical ou paramédical qui se sont retrouvés pour dire qu’il manquait la dimension de théorie et pratique dans leurs unités de soins. Notre Fédération vise justement à fédérer les acteurs du monde du blanc (soignants) et du monde du vert (nature). L’enjeu est de collaborer pour monter des projets. Les paysagistes répondent techniquement avec force de propositions sur l’organisation, les matériaux...

En tant que concepteur réalisateur, je ne suis pas légitime comme premier interlocuteur. C’est pour cette raison que la Fédération a établi un protocole pour créer un jardin thérapeutique qui prévoit trois réunions avec une équipe référente. Dès lors, on va coconcevoir un projet avec des membres des équipes soignantes, des équipes techniques et la direction. Le paysagiste va animer et donner le tempo. Sur le fond, la nature du jardin, ce sera une conception participative. Après les trois réunions, le jardin est calé sur papier. Chaque projet est unique dans son adaptation et dans son organisation. Il est d’ailleurs impossible de réaliser des jardins thérapeutiques clefs en main, même si évidemment que ce soit un jardin en terrasse, sur bitume ou en pleine nature, on va trouver des constantes par rapport à une même pathologie, comme tout le travail autour de l’olfaction pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’un trouble apparenté.

La réussite d’un jardin thérapeutique est-elle liée à la notion d’engagement partenarial ?

Tout à fait. La relation partenariale est un gage de réussite. Les concepteurs réalisateurs ne sont pas des spécialistes du soin et c’est une bonne chose. D’où la nécessité de la collaboration avec les équipes de soin. On a une position parfaite avec le recul, les limites et les aspects techniques. On va regarder le projet qui est de plus en plus précis et qui prend en compte la normalisation. En réalité, le paysagiste parle aujourd’hui davantage d’adaptation (que de normalisation) pour répondre aux attentes des soignants. Ce sont tous nos échanges qui vont donner naissance à un jardin adapté.

Les établissements médico-sociaux sans espace extérieur sont-ils de fait exclus ?

Pas du tout. Dans le meilleur des cas, l’établissement est doté de terrasses en béton. Eh bien, sur cette terrasse, des bacs peuvent être remplis de terreau avec des aromatiques, des fleurs... j’ai d’ailleurs aménagé une terrasse dans Lyon centre, au 6étage, en habillant 45 m2 avec de la ciboulette, des rosiers... et en y installant un arrosage automatique.

Dans le pire des cas, le professionnel travaille différemment. Ainsi une de nos membres intervient en secteur hospitalier, avec très peu d’espaces extérieurs. En fait, elle vient avec une panoplie de ce qu’elle trouve dans la nature, selon les saisons. Elle amène l’extérieur avec des terrariums à l’intérieur. Elle invite également les usagers à regarder par la fenêtre avec de la matière et ça marche très bien. C’est donc toujours possible.

Quels sont les garde-fous qui vont favoriser la pérennité du jardin, une fois le concepteur parti ?

C’est la grosse limite du jardin. C’est d’ailleurs toujours un souci pour nous, car une fois partis, nous les paysagistes nous n’avons plus la main dessus. Tout le monde trouve l’aménagement particulièrement réussi le jour de l’inauguration. Mais nous, nous pensons déjà à l’après. Nous devons le préparer dès la conception. Tous les participants savent qu’ils s’engagent lors des trois réunions préparatoires. Nous devons donc désigner un volontaire qui deviendra le référent du jardin. Il veillera à ce qu’il soit fréquenté, mais n’assurera pas son entretien. Nous devons également prévoir un contrat signé d’entretien sur deux ans, dans l’enveloppe budgétaire dès le début. Ces questions sont débattues dès les réunions préparatoires. Finalement, nous signons un contrat moral et nous devons leur dire : « Vous vous engagez, vous avez un aménagement, faites en sorte que les résidents en profitent ! » C’est tellement décevant quand un jardin thérapeutique est déserté alors qu’il fait beau alors que nous savons pertinemment que les professionnels qui les utilisent au quotidien sont particulièrement heureux car ils connaissent tous ses bienfaits.

Justement quels sont les bénéfices du jardin thérapeutique ?

Quand un soignant emmène une personne au jardin, notamment une personne âgée, la fatigue naturelle s’installe et non celle induite par des médicaments. Le jardin va faire baisser l’anxiété. Ainsi, lorsqu’une personne répète la même chose, le simple fait de la conduire en extérieur va provoquer une régulation, un bien-être. Des études scientifiques prouvent ces bienfaits. Et lorsqu’il y a du vent ou de la pluie, le simple fait de mettre les personnes devant la fenêtre (et non devant la télévision) va occasionner du bien-être. Le temps passe plus vite. La dimension psychosociale du jardin n’est pas à négliger. Les psychiatres considèrent que quelqu’un qui ne va pas bien, c’est une personne qui va se refermer sur elle, s’isoler. Or, le simple fait d’être au contact de la nature, dehors, va lui permettre progressivement de s’ouvrir aux autres. Le jardin est un lieu universel qui entre dans les interventions non médicamenteuses au même titre que la musicothérapie pour ne citer qu’elle.

La professionnalisation de la formation

  • Formation technique
    « Un des rôles de la Fédération est de promouvoir des formations qui répondent aux besoins des professionnels. D’ailleurs à partir de septembre 2024, il va y avoir des BTS ou des BP, qui vont accueillir des élèves en formation initiale et qui pourront suivre un module qui s’appellera “Jardins Thérapeutiques”. Il commence à y avoir une littérature, des enseignants... il y a une demande et une attente. »
  • Formation pour les soignants
    « Pour les professionnels médicaux ou paramédicaux, un diplôme universitaire Santé et Jardins est proposé à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne sous le nom : “Prendre soin par la relation à la nature”. » https://www.univ-st-etienne.fr/fr/formation/d-u-sante-ZN/d-u-sante-ZN/sante-et-jardins-KQ6LV14R.html
  • Sensibilisation pour les équipes sur le terrain
    « La sensibilisation est essentielle, notamment pour les professionnels de terrain comme les assistantes de soins en gérontologie (ASG). Les activités programmées avec des objectifs précis ne servent à rien. L’animateur de l’atelier doit connaître la pathologie, être assis à proximité et parler avec les résidents. Ce qui est très important, c’est l’ici et le maintenant, comme le simple fait d’évoquer un oiseau qui se pose sur une branche. »

Alexandra Marquet, journaliste, chef de rubrique


Crédit photo : Pavo

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