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Malades Alzheimer : Refuser le discrédit

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Simon Lemaire, Docteur en sociologie, département des sciences sociales, politiques et de la communication, Université de Namur

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[ALZHEIMER FRIENDLY 6/16] La maladie d’Alzheimer est connue pour ses sombres représentations. Pourtant, plusieurs associations de patients se donnent comme projet de changer les regards et les possibilités citoyennes liées à la tristement célèbre pathologie neuro-évolutive.

« Le pari du sens »

Depuis bientôt 25 ans, on constate une expansion de projets associatifs participatifs dans le domaine de la santé. Celle-ci est légitimée par la reconnaissance de savoirs spécifiques liés au vécu des personnes concernées par une pathologie. Bien que timidement, la maladie d’Alzheimer n’échappe pas à cette dynamique. De fait, on observe le développement d’associations de personnes concernées et proches qui se rassemblent autour d’enjeux liés à la pathologie. J’assimile ces courants qui ambitionnent de prévenir le discrédit usuellement associé aux personnes concernées, à ce que Natalie Rigaux appelle le « pari du sens », au départ d’un courant médical qu’elle qualifie d’alternatif et qui s’incarne dans les travaux de Louis Ploton (1). Sa conceptualisation de la démence fait du malade un partenaire, donne un sens aux comportements de la personne atteinte, et érige la qualité de vie en valeur primordiale, au-delà de la réduction des symptômes de la pathologie.

Valoriser les capacités restantes

Le regard sur la maladie d’Alzheimer évolue donc lentement, mais finit par ne plus se poser exclusivement sur les manques et déficits pour en arriver à privilégier ce qui est encore présent et ce avec quoi on peut encore faire, malgré la maladie (2). Cette évolution se vérifie pour les analyses sociologiques (3) mais également, et prioritairement, pour la (psycho)gérontologie (critique) et les travaux portant sur le soin et l’accompagnement des personnes directement concernées, voie elle aussi ouverte par Louis Ploton. Comme le montrent Vincent Caradec et Aline Chamahian dans le premier ouvrage francophone croisant sociologie et maladie d’Alzheimer (2023), le monde anglophone de la recherche en sciences humaines et sociales au sujet de la maladie d’Alzheimer se développe quant à lui dès les années 1970 et donne rapidement naissance à des courants de pensée souhaitant placer les personnes concernées en leurs centres, à la suite des approches sociologiques de Anselm Strauss et Barney Glaser. C’est notamment le cas de l’approche centrée sur la personne (person-centered approach) popularisée par Tom Kitwood, et celle de Steven Sabat, fin des années 1990-début 2000, en Angleterre et aux États-Unis. Ces écoles sont basées, développent, et pratiquent elles aussi une conception relationnelle de l’identité, appuyées par le concept de « personne » (personhood ; Kitwood, 1997), puis de « citoyenneté » (citizenship, Bartlett, O’Connor, 2014) (4).

Vers une société plus inclusive

En lien avec ce changement paradigmatique et pratique au sujet de la démence, naissent une série de projets inclusifs que l’on rassemble généralement sous le qualificatif dementia-friendly. L’origine de ces démarches remonte en 2001 en Écosse, mais se déclinent internationalement, comme nous l’apprend Laetitia Ngatcha-Ribert dans un ouvrage intitulé Vers une société amie de la démence, paru en 2018. Malgré leur variabilité, ces démarches font le souhait de modifier la « réponse collective » (Caradec, Chamahian, 2023) faite à la démence en octroyant aux personnes directement concernées la faculté de transformer divers pans de la société, allant des services publics aux centres commerciaux, aux commerces, aux sociétés et moyens de transports, aux lieux de loisirs... De l’interaction à l’échelle d’une ville ou d’un quartier, les projets dementia-friendly se rapprochent non explicitement du rapport à la collectivité qui a pu être conceptualisé autour du handicap par les disabilities studie (5). Laetitia Ngatcha-Ribert le souligne dans un article récent (6), promouvoir l’inclusion des personnes concernées dans la société, diminuer les représentations négatives, et encourager la participation des personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer sont au cœur de ces projets.

Plusieurs auteurs le relèvent (7), initialement, la plupart des associations de personnes concernées sont lancées par des proches, il faut toutefois attendre 2007 pour relever l’inclusion de personnes directement concernées, premièrement mise en place par l’Alzheimer’s Society of Ireland. A titre d’exemple, le premier groupe similaire belge francophone est créé en 2010. En France, les Fondations Médéric Alzheimer et France Alzheimer voient le jour en 1985, mais peu de groupes français de personnes directement concernées existent. Notons, en 2023, les « Ambassadeurs » du Bistrot-mémoire de Rennes (maintenant projet Globalcité), « La vie sans oubli » ou encore « Ama Diem », tous jeunes d’une dizaine d’années. De nombreux projets se sont en revanche développés en Angleterre, fédérés dans le réseau Dementia Engagement and Empowerment Project (DEEP), né en 2011, mais en réelle expansion depuis 2015 d’après les rapports d’activité publiés sur leur site internet.

Malgré cette expansion associative et une littérature anglophone abondante (8), à l’exception des récents travaux de Natalie Rigaux et Laetitia Ngatcha-Ribert, peu de littérature francophone existe au sujet de ces associations, et encore moins au sujet de ce qui s’y déroule. C’est à cet effet que ma recherche doctorale propose une ethnographie de ces formes de participation et de citoyennetés qui se développent au sein de ces espaces, et des projets qui en émergent. Se concentrant sur un cas belge, en le comparant à des projets anglais et français, et s’étant majoritairement déroulé dans des lieux reposant sur l’échange discursif, elle ne comble toutefois pas l’absence laissée par le manque de suivi ethnographique des projets dementia-friendly dans toute leur pluralité.

Voilà qui invite, en guise de conclusion à prendre au sérieux ethnographiquement ces lieux s’efforçant de refuser le discrédit comme unique expérience possible de vie avec la maladie d’Alzheimer (9).

Simon Lemaire, Docteur en sociologie, département des sciences sociales, politiques et de la communication, Université de Namur

 

Notes de bas de page

(1) Rigaux, N. (1998). Le pari du sens. Une nouvelle éthique de la relation avec les patients âgés déments.

(2) Innes, A. (2009). Dementia studies: A social science perspective.

(3) Chamahian, A., & Caradec, V. (Eds.). (2023). La sociologie face à la maladie d’Alzheimer. Presses universitaires du Septentrion.

(4) Kitwood, Thomas Marris, et TM Kitwood. 1997. Dementia reconsidered: The person comes first. Vol. 20.

Open university press Buckingham. Bartlett, R., & O'Connor, D. (2007). From personhood to citizenship: Broadening the lens for dementia practice and research. Journal of aging studies, 21(2), 107-118.

(5) Eyraud, B., Saetta, S., & Tartour, T. (2018). Introduction. Rendre effective la participation des personnes en situation de handicap. Participations, (3), 5-28 ; Prince, M. J. (2004). Disability, disability studies and citizenship: moving up or off the sociological agenda?.

(6) Ngatcha-Ribert, L. (2023). Éléments pour une socio-histoire récente de la maladie d’Alzheimer. La sociologie face à la maladie d’Alzheimer, 71.

(7) Ngatcha-Ribert, L. (2007). D'un no man's land à une grande cause nationale. Gérontologie et société, 30123(4), 229-247 ; Ngatcha-Ribert, L. (2012). Alzheimer: la construction sociale d'une maladie. Dunod. ; Beard, R. L. (2004). Advocating voice: organisational, historical and social milieux of the Alzheimer's disease movement. Sociology of Health & Illness, 26(6), 797-819.

(8) WEETCH, Jason, O’DWYER, Siobhan, et CLARE, Linda. The involvement of people with dementia in advocacy: a systematic narrative review. Aging & Mental Health, 2021, vol. 25, no 9, p. 1595-1604.

(9) Brossard, B. P. M. (2017). Oublier des choses. Alma.

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