Démystifier la maladie
Un tel regard porté sur la maladie par des personnes âgées dites « plus autonomes » trouve ses sources à travers de nombreux facteurs et ouvre toute une réflexion sur les conséquences de cette stigmatisation. La peur de la maladie, l’effet « miroir » de ce que la personne âgée peut devenir, l’inconnu de ce qu’est une unité protégée et de ce qu’il s’y passe sont autant de raisons qui expliquent ce phénomène de rejet à l’encontre des résidents les plus dépendants
Il s’agit en premier lieu de prendre le temps d’informer les résidents sur la maladie elle-même. Cela peut se faire de façon individuelle, informelle ou bien constituer la thématique d’un atelier discussion. L’implication de la psychologue ou du médecin coordinateur est souhaitable. On emploiera un vocabulaire adapté et compréhensible par chacun en expliquant la nécessité pour les malades d’être non pas « enfermés » mais bel et bien protégés au sein d’un espace sécurisé.
Lorsque les troubles cognitifs d'un résident s'intensifient et que l’accompagnement en Ehpad n’est plus adapté, décision est prise de son transfert au sein de l’unité protégée. Cependant, qu’en est-il pour les autres personnes qui fréquentaient ce malade au quotidien ? Comment vivent-elles la disparition de cet ami, de ce voisin de table ou de chambre ? Il me semble que chaque professionnel devrait se poser ces questions et en débattre lors de la réunion préalable au transfert. C’est l’occasion de déterminer comment informer les résidents proches du malade en amont de son déménagement, afin de les préparer psychologiquement et de répondre à leurs questionnements.
L’enjeu ensuite n’est pas pour ces personnes de faire le deuil du malade : les unités protégées ne sont pas accessibles par tout le monde, mais de trop nombreuses structures s’interdisent à mêler les deux populations. Ce choix se traduit par une perte de lien, parfois définitive, entre malade et proches résidents... qui renforce la crainte de la maladie. Or, sous certaines conditions et avec précaution, les résidents de l’Ehpad peuvent continuer de voir le malade régulièrement.
Maintenir le lien avec l’Ehpad
Permettre au résident qui est transféré à l’unité protégée de continuer à voir ses pairs est un réel objectif dans son accompagnement. Pour cela, en concertation d’équipe et selon les troubles de la personne concernée, on favorise des sorties ciblées et encadrées. Il peut s’agir de simples visites, en compagnie de la psychologue ou du psychomotricien, pour partager le goûter avec ses amis dans la salle à manger. L’animateur peut, selon les activités proposées à l’Ehpad (gym douce, ateliers cuisines, sorties...), y inclure de temps en temps un ou plusieurs malades. L’ASH chargé d’aller chercher en fin de matinée l’armoire chauffante à la cuisine ou le chariot de vêtements à la lingerie peut proposer à un malade de l’accompagner... Les situations sont multiples et doivent toujours s’accompagner d’interactions sociales avec les autres résidents. Un seul mot d’ordre : le malade doit faire l’objet d’une surveillance dès lors qu'il quitte son unité protégée afin d'éviter les « fugues » et autres mises en danger. Ces sorties font cependant systématiquement l’objet d’une évaluation a posteriori : il arrive que sortir du « cocon » génère chez certains malades de l’anxiété et des troubles comportementaux. Le cas échéant, on limitera les sorties.
De la même façon, les résidents proches de la personne concernée sont invités à rendre visite au malade au sein de l’unité. Là encore, les visites sont encadrées par un professionnel. D’abord programmées, elles se heurtent aux craintes et réticences de ce milieu sécurisé et de toutes les représentations que s’en font les personnes âgées. Mais après le premier pas franchi, le plaisir de se retrouver dans un lieu agréable se traduit par des demandes spontanées à rendre visite au malade ! Les premières visites sont primordiales et jouent un rôle majeur dans la démystification du lieu. Afin de faciliter ces rencontres, j’ai personnellement invité des résidents de l’Ehpad (deux à trois personnes maximum) à participer à des animations que je proposais au sein de l’unité protégée. Ma stratégie consistait à mettre en place des activités attractives qui ne se faisaient pas côté Ehpad (épluchage de légumes, tricot et autres activités de la vie quotidienne, tout comme les activités sensorielles sont parfaites en ce sens qu’elles conviennent aux deux publics).
Cas particuliers : les couples
Il arrive que des couples intégrant la structure soient séparés : l’un étant côté Ehpad, l’autre côté unité protégée. Outre tous les exemples cités précédemment, on se réunit en équipe, en concertation avec la famille, pour organiser des rencontres dans l’une ou l’autre des structures. Ces rencontres doivent elles-aussi être encadrées tout en laissant une certaine intimité au couple. Cela peut sembler chronophage pour les professionnels si les rendez-vous sont réguliers (tous les deux jours par exemple). Néanmoins mon expérience m’a montré qu’il s’agit d’une occasion pour la famille (les enfants ou arrière-petits-enfants) de trouver une place et un véritable but à leurs visites.
Des projets pour tous
L’élaboration de projets à destination de l’ensemble des résidents, malades ou non, est à mon sens la meilleure façon de modifier les regards sur la maladie en incitant les publics à se mélanger et en ouvrant largement les portes (au sens figuré !) de l’unité protégée. Ainsi ai-je œuvré à la création d’une salle Snoezelen au sein de cette structure. Les résidents « autonomes » bénéficiant de séances sensorielles étaient ainsi « contraints » à entrer dans l’unité pour en profiter... De même, l’installation d’un poulailler dans le jardin de l’espace protégé plutôt que dans celui de l’Ehpad s’est révélée très efficace : les résidents souhaitant voir les poules ou s’en occuper étaient accompagnés régulièrement, en petit groupe, cassant ainsi symboliquement le mur entre les deux services au quotidien.
Richard Mesplède, formateur et ancien animateur en Ehpad