La protection des malades contre les personnes malveillantes
L’abus de faiblesse est l’un des dangers lorsque la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer est à domicile. Les techniques commerciales deviennent chaque jour plus agressives et le risque peut également venir des proches, des aidants familiaux ou des professionnels. Le législateur définit donc l’abus de faiblesse de manière large, et considère qu’il est constitué chaque fois qu’une personne profite de la faiblesse physique ou psychique d’une autre, ou de son ignorance, pour lui faire souscrire un engagement généralement inadapté à ses besoins. (C. consom L. 121-8).
Il peut s’agir en l’espèce de démarchages par téléphone ou d’intervention conclue dans une situation d’urgence, comme des travaux de serrurerie (C. consom. L. 121-9).
La sanction civile est la nullité de l’engagement (C. consom. L. 132-13). L’action est alors fondée sur les vices du consentement (C. civ., art.1130). Ce peut être l’existence d’un dol lorsque le contrat a été souscrit à la suite de visites répétées et insistantes ou de manœuvres (C. civ., art.1137). Selon le montant du préjudice et la nature du litige, il faudra saisir le tribunal judiciaire, le tribunal de proximité ou le juge des contentieux de la protection.
De cette manière, la loi assure que toute personne atteinte de la maladie d’Alzheimer puisse faire réparer son préjudice et être protégée économiquement des actions frauduleuses qui, malheureusement, les ciblent souvent très particulièrement.
Mais si le dommage est réparé et les intérêts de la personne victime protégés, l’auteur du dommage doit lui être puni. En effet, le législateur fait de l’abus de faiblesse un délit poursuivable par le ministère public. L’article 223-15-2 du Code pénal punit « l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ». Dans ce cadre, un simple état de faiblesse mentale est suffisant pour caractériser l’infraction. (Cass. crim., 11 juill. 2017, n°17-80.421).
L’abus peut porter sur des actes divers comme un prêt, une vente, un achat, un don, une révocation de dispositions testamentaires, une souscription d’assurances vie ou un changement de la clause bénéficiaire, un retrait d’espèces, une remise de chèques en blanc ou une procuration sur comptes bancaires, etc.
Par ces dispositions, la loi protège les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, par essence plus vulnérables que les autres aux situations d’abus et d’escroquerie. Mais protéger ne suffit pas, la loi permet également leur accompagnement au quotidien.
La Loi et l’accompagnement des personnes au quotidien
Deux cas de figure se présentent : si la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer vit à domicile ou en établissement. Le droit apporte en premier lieu des solutions afin que la personne puisse le plus longtemps possible vivre une vie ordinaire, à son domicile. Ainsi, de nombreux régimes juridiques de protection permettent de désigner, selon les besoins de la personne malade, un tiers de confiance qui accomplira pour les actes qu’elle ne sera plus capable d’accomplir, ou l’accompagnera dans leurs prises de décisions. Aussi, qu’elles soient à domicile ou en établissement, la famille, l’entourage, les intervenants sociaux et médicaux, et la direction de la structure avec le concours du médecin coordinateur pourront mettre en place les modalités de protection et d’accompagnement juridiques qui s’avéreront nécessaires (C. civ., art. 425) :
- une sauvegarde de justice demandée au juge des contentieux de la protection (ex juge des tutelles) si la personne a besoin d’une protection juridique temporaire ou d’être représentée pour l’accomplissement de certains actes déterminés (C. civ., art. 433) ;
- une curatelle simple, renforcée ou aménagée sollicitée auprès de ce même juge qui permettra à la personne d’être accompagnée par un curateur dans les actes importants de la vie quotidienne (C. civ., art. 440 al. 1 et 2) ;
- une tutelle si la personne a besoin d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile si les deux précédentes mesures de protection s’avèrent insuffisantes (C. civ., art. 440 al. 3 et 4) ;
- un mandat de protection future, passé devant notaire ou par acte sous seing privé, permettant de désigner à l’avance un tiers de confiance qui aura pour mission de veiller sur sa personne et ses biens en cas d’altérations futures. (C. civ., art. 477) ;
- une habilitation familiale qui permet, avec l’accord du juge des contentieux de la protection, à un proche d’assister ou de représenter la personne qui ne peut manifester sa volonté ou qui ne peut plus pourvoir seule à ses intérêts (C. civ., art. 494-1).
De même, les établissements qui accueillent les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer sont tenues d’obligations particulières :
- L’organisme gestionnaire de la structure, qu’elle relève du droit privé ou du droit public, a une obligation de vigilance et de sécurité de moyens envers les résidents, de sorte que sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée que pour manquement fautif prouvé à cette obligation (CASF, art. L. 311-3). Cette obligation de moyens s’apprécie au regard des mesures prises par l’établissement pour assurer la sécurité de chaque résident dans le respect de sa dignité, au regard de son état de santé et de son comportement. Ainsi, l’accompagnement et la prise en compte de la particulière vulnérabilité des usagers est constamment rappelé dans les structures médico-sociales.
Enfin, et c’est peut-être là où la loi doit encore s’améliorer, protection et accompagnement doivent nécessairement être accompagnés d’un effort d’inclusion pour rendre aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer la possibilité de vivre normalement.
La nécessité de l’inclusion dans une société de la longévité
Face à une exclusion et à une institutionnalisation fréquente, des initiatives se développent pour maintenir l’autonomie des personnes et favoriser leur inclusion dans la société. C’est notamment le cas pour favoriser leur déplacement dans leur quartier, dans les transports, et, de façon générale, l’accessibilité des établissements accueillant du public (ERP), qu’ils soient administratifs ou culturels. La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », fixe le principe d’une accessibilité généralisée, intégrant tous les handicaps, qu’ils soient d’ordre physique, visuel, auditif ou mental.
Mais, la plus grande avancée relative à l’inclusion des personnes, même si elle se développe lentement, résulte de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite loi ALUR). Elle invente là le statut juridique de l’habitat participatif intergénérationnel solidaire dans un immeuble ou dans des maisons individuelles à mi-chemin entre la copropriété et la colocation.
La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) a elle donné une définition à l’habitat inclusif au sein du Code de l’action sociale et des familles (Art. L. 281-1, CASF). Elle a également créé le régime de la cohabitation intergénérationnelle solidaire (Art. L. 118, CASF).
Cependant, si ces initiatives doivent être remarquées, il reste des chantiers sur la question particulière de l’inclusion des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer pour l’accès aux soins, aux loisirs ou encore à la justice. Des « coupes-files » s’appuyant sur un algorithme décisionnel qui permet l’admission le plus précocément possible afin de limiter le temps d’attente dans les hôpitaux (système « fast track » préconisé par la Fédération Hospitalière de France) ou dans les tribunaux, pourraient être mis en place.
On ne peut cependant s’interdire d’espérer une amélioration prochaine, la question des personnes vulnérables étant chaque jour mieux envisagée par les acteurs du monde judiciaire. La perspective de la prise en compte d’une société nouvelle de la longévité va s’imposer. Accueillir dignement la victime, mais reconnaître aussi le grand âge ou la maladie comme cause de l’acte délictueux va s’imposer. A l’opposé d’un recours grandissant à l’intelligence artificielle. Une justice nouvelle s’expérimente avec des opérations innovantes comme l’intégration des chiens de médiation ou d’assistance à la Cour d’appel de Paris. D’autres mesures facilitant l’accès à la justice des personnes déficientes peuvent être attendues.
Etienne Bataille et Muriel Cormorant, avocats