Effets bénéfiques sur la plasticité cérébrale
L’idée que l’environnement puisse avoir un effet bénéfique sur la santé est très ancienne. Hippocrate, au IVe siècle avant Jésus Christ, écrivait déjà dans son traité Air, eaux, lieux que pour « approfondir la médecine, il faut d’abord considérer les saisons, connaître la qualité des eaux.../... et le genre de vie des habitants ». Cette affirmation s’est renforcée au cours du temps, en particulier avec la prise de conscience que l’activité humaine produisait des effets délétères.
Il s’est agi alors de se préserver d’une exposition aux nuisances issues de la déforestation, des fumées de charbon dans l’espace urbain, de la qualité de l’air et de l’eau résultant de pollutions multiples. Cet enjeu a pris une dimension mondiale à partir de la première conférence des Nations Unies sur l’environnement qui s’est tenue à Stockholm en 1972 (1). Nous connaissons bien et malheureusement ne sommes pas au terme de cette quête d’un environnement sain, essentielle dans les politiques de santé publiques.
La relation avec l’environnement que nous voulons décrire, ne concerne pas celle où les hommes s’efforcent de se préserver de leurs propres nuisances, mais davantage de décrire un environnement promoteur de la santé. C’est ainsi que nos travaux nous ont conduits à nous intéresser aux recherches menées sur le concept d’environnement enrichi. Ce concept décrit dès 1951 par D. Hebb (2), a mis en évidence que l’enrichissement de l’environnement par des modules stimulant les capacités cognitivo-comportementales, avait un effet bénéfique sur la plasticité cérébrale. Il agit non seulement sur le volume du cortex cérébral, mais également sur l’activité physiologique des neurotransmetteurs favorisant un phénomène de compensation par rapport aux dysfonctionnements du système nerveux central (3) (4).
Ces travaux, jusqu’alors menés exclusivement sur des souris de laboratoire, ont permis de décrire les bénéfices de l’environnement enrichi sur de nombreux troubles et pathologies fréquemment observés chez la personne âgée – tels que les troubles du comportement, les troubles du sommeil, la dépression (5) , la maladie d’Alzheimer (6) (7), la maladie de Parkinson (8), l’addiction, la perte d’indépendance fonctionnelle ou de lien social.
Nous avons en conséquence conçu un processus de transposition à l’humain de cette richesse de connaissances produite par les neurosciences. Nous avons veillé à respecter les protocoles d’étude utilisés sur l’environnement enrichi, tout en adaptant la dimension éthique associée au cadre de vie de la personne âgée en institution.
Le jardin enrichi, espace d’étude
C’est ainsi que nous avons décrit le concept de jardin enrichi. L’utilisation du jardin comme espace d’étude pour cette transposition s’est imposée parce qu’il permettait de mener des études cliniques en s’affranchissant des contraintes réglementaires imposées aux espaces intérieurs tout en limitant les coûts d’aménagement. Par ailleurs, le jardin bénéficie depuis les origines d’une perception idéalisée par la population ce qui a été considéré comme un facteur favorable à sa fréquentation régulière – il suffit de citer à ce titre le jardin du paradis dans la Bible ou le Coran, celui des moines au Japon, des lettrés en Chine...
Depuis dix ans, nos équipes ont conçu des modules d’enrichissement par la collaboration d’équipes de gériatrie pluridisciplinaires, en ciblant différemment une stimulation cognitive, l’orientation temporo-spatiale, le séquencement des gestes pour exécuter une tâche, l’apaisement, l’estime de soi, les interactions sociales, etc. Ces modules ont été disposés dans l’espace de jardins en Ehpad fréquentés par des résidents atteints de la maladie d’Alzheimer. Des études cliniques ont été conduites afin de comparer les effets de la fréquentation d’un jardin enrichi, en comparaison avec d’autres groupes de participants fréquentant un jardin dit sensoriel ou ne fréquentant pas de jardin du tout.
Les participants ainsi répartis en trois groupes : enrichi [1], sensoriel [2], pas de jardin [3] bénéficiaient au début de l’étude d’une visite de l’espace afin de se familiariser avec l’environnement et étaient encouragés par les soignants à se rendre dans le jardin régulièrement (quatre fois par semaine pendant 20 minutes minimum). Ils parcouraient les lieux en autonomie pendant la durée de l’étude (trois à six mois) et entraient au gré de leur inspiration et de façon intuitive avec les différents modules disposés dans l’espace.
Les résultats furent très impressionnants (9). Alors que les groupes [2] et [3] avaient des résultats identiques, c’est-à-dire aucun effet significatif sur les marqueurs de santé tels que les capacités cognitives (MMSE), les troubles du comportement (CMAI), l’indépendance fonctionnelle (ADL), le groupe [1] présentait des récupérations fonctionnelles sur chacun des indicateurs, c’est-à-dire une amélioration des capacités et des troubles par rapport au début de l’étude.
Transposition vers l’ensemble des espaces collectifs
Après avoir vérifié la reproductibilité de ces travaux, nos recherches actuelles visent à étendre le processus de transposition du concept d’environnement enrichi vers l’ensemble des espaces collectifs – intérieurs et extérieurs – en institution gériatrique, en élargissant les cibles thérapeutiques (dépression, troubles du sommeil, nutrition, lien social) par la conception de modules d’enrichissement spécifiques, en précisant le rythme et le mode d’interaction optimal pour fiabiliser et pérenniser ces bénéfices. Nous avons également travaillé sur la notion d’appropriation spatiale (10), c’est-à-dire, décrire ce qui dans l’environnement de la personne âgée ayant quitté son domicile pour vivre en Ehpad, pouvait participer au sentiment d’être chez soi. C’est ainsi que les notions d’esthétique, de convivialité, de liberté (en rupture avec le sentiment d’être soumis à des règles de collectivité), la possibilité de laisser une empreinte dans l’espace et d’être fier du lieu où l’on réside contribuent significativement à ce sentiment d’être chez soi.
L’expression « jardin thérapeutique » est fréquemment utilisée dans le langage courant des institutions médico-sociales et en particulier des Ehpad. Nous avons préféré nous en distancier, celle-ci n’étant pas spécifique tant sur sa finalité que son contenu. D’autant que la littérature scientifique sur ce sujet, soulignait la fragilité des protocoles d’études qui en évaluaient les effets. Il nous est apparu que ces jardins dits thérapeutiques, l’étaient davantage parce qu’ils offraient un espace de liberté et de respiration par rapport à l’architecture hospitalière dont nous avons pu bien souvent relever le manque de bienveillance – à l’instar de ce que D. Hebb a décrit en 1951 sous le terme d’« environnement appauvri » (11).
Les perspectives offertes par la transposition de l’environnement enrichi au cadre de vie des humains sont immenses. Les travaux menés en laboratoires pendant plus de 70 ans en offrent des bases scientifiques solides. Son extension vers les établissements médico-sociaux, mais aussi l’espace urbain ou le domicile des personnes âgées permettent d’envisager la description d’un environnement non seulement bienveillant mais aussi et surtout promoteur de la santé. Il pourrait constituer l’un des piliers des futures politiques de santé publique.
Etienne Bourdon, Docteur en santé publique, gérontologue, Hôpital Charles Foix (Assistance Publique Hôpitaux de Paris APHP) – Université Sorbonne Paris
Notes de bas de page
(1) United Nations. Rapport de la conférence des Nations Unies sur l’Environnement [Internet]. New York,: Nations Unies; 1973.
(2) Hebb D. The effects of early experience on problem solving at maturity. Am Psychol. 1947;(2):737‑45.
(3) Alarcón TA, Presti-Silva SM, Simões APT, Ribeiro FM, Pires RGW. Molecular mechanisms underlying the neuroprotection of environmental enrichment in Parkinson’s disease. Neural Regen Res. 9 nov 2022;18(7):1450‑6.
(4) Zarif H, Nicolas S, Petit-Paitel A, Chabry J, Guyon A. How does an enriched environment impact hippocampus brain plasticity? In: The hippocampus - plasticity and functions [Internet]. Stuchlik A. London: IntechOpen; 2017. Disponible sur : https://www.intechopen.com/chapters/57451
(5) Mahati K, Bhagya V, Christofer T, Sneha A, Shankaranarayana Rao BS. Enriched environment ameliorates depression-induced cognitive deficits and restores abnormal hippocampal synaptic plasticity. Neurobiol Learn Mem. 2016;134:379‑91.
(6) Berardi N, Braschi C, Capsoni S, Cattaneo A, Maffei L. Environmental enrichment delays the onset of memory deficits and reduces neuropathological hallmarks in a mouse model of Alzheimer-like neurodegeneration. J Alzheimers Dis. 2007;11(3):359‑70.
(7) Jankowsky JL, Melnikova T, Fadale DJ, Xu GM, Slunt HH, Gonzales V, et al. Environmental enrichment mitigates cognitive deficits in a mouse model of Alzheimer’s disease. J Neurosci. 2005;25(21):5217‑24.
(8) Faherty CJ, Raviie Shepherd K, Herasimtschuk A, Smeyne RJ. Environmental enrichment in adulthood eliminates neuronal death in experimental Parkinsonism. Mol Brain Res. 2005;134(1):170‑9.
(9) Bourdon E, Belmin J. Enriched gardens improve cognition and independence of nursing home residents with dementia: a pilot controlled trial. Alzheimers Res Ther. 2021;13:116.
(10) Bourdon E, Belmin J. L’appropriation de l’espace par le résident en institution gériatrique : une étude qualitative sur le jardin enrichi en Ehpad. NPG Neurol - Psychiatr - Gériatrie. 2022;(24).
(11) Brown RE. Alfred McCoy, Hebb, the CIA and torture. J Hist Behav Sci. 2007;43(2):205‑13.