Les réactions contradictoires de chacun
Mme Martin vit très mal le fait que son mari, récemment diagnostiqué, ne veuille plus se rendre avec elle au club du troisième âge de son quartier. Elle pense qu’il ne fait aucun effort pour maintenir ses facultés cognitives. Cindy, l’auxiliaire de vie qui vient les aider à domicile croit bien faire en ne cessant de le questionner, à chacun de ses passages : « Quel est son plat préféré ? Comment le cuisiner et avec quels ingrédients ? » Elle trouve ses questions pertinentes car M. Martin était restaurateur. Quant à ses deux filles, elles ne veulent plus qu’il sorte seul de la maison ni qu’il bricole ou jardine (alors que ce sont ses passions) de peur qu’il ne se blesse ou provoque un accident.
Entre l’hyperstimulation des uns et la surprotection des autres, M. Martin se sent encore plus perdu et l’angoisse renforce ses troubles cognitifs. Il se sait pourtant entouré de bonnes intentions à son égard, mais ne comprend pas ces comportements. A ce stade de la maladie, les troubles cognitifs et mnésiques ne sont pas présents dans tous les domaines. Il garde encore de nombreux souvenirs dans sa mémoire épisodique surtout pour les faits anciens. Il apprécie énormément de les partager avec ses enfants ou de vieux amis. En revanche, sa mémoire antérograde s’altère et il n’arrive pas à se souvenir de faits récents. Il peine à trouver ses mots alors il apprécie que ses proches lui racontent des histoires de sa vie passée. Sa mémoire sémantique est plus atteinte. La construction de phrases complexes devient impossible ainsi que la lecture de livres ou la compréhension de l’actualité... Lui demander de décrire des recettes de cuisine n’est donc pas pertinent et le met en difficulté. Il n’arrive plus à nommer les objets dont il se sert pour cuisiner, mais y parvient parfois lorsque l’aidant prononce le phonème initial du nom de l’objet. Il peut aussi nommer la catégorie à laquelle appartient l’objet ou l’ingrédient par exemple cuillère pour spatule et légumes pour courgettes. Lui préparer à l’avance tous les objets et ingrédients dont il aura besoin et rester prêt de lui pour suppléer ses difficultés vont lui permettre de réaliser encore des petits plats qui vont le gratifier.
Comprendre les conséquences de la maladie pour mieux accompagner
Se rendre au club du troisième âge est pour lui une épreuve. Il souffre de prosopagnosie et n’arrive pas à reconnaître les visages surtout les nouveaux. Il présente également une agnosie environnementale et ne reconnait pas les lieux surtout ceux fréquentés récemment. Il a donc la sensation que sa femme l’emmène à chaque fois dans un lieu nouveau, rencontrer des gens qu’il ne connait pas pour jouer à des jeux qu’il ne comprend pas ! En revanche, sa mémoire procédurale est encore relativement préservée. En regardant faire son entourage, il est capable de reproduire de nombreux gestes adaptés. Il est encore en capacité de retrouver des automatismes comme battre des œufs en neige ou même prendre une bêche pour jardiner ou redresser une clôture. En sécurisant son environnement et participant à ses activités de prédilection, il est possible de le laisser s’adonner encore à ses loisirs. Sa mémoire et son intelligence émotionnelle seront stimulées dans le plaisir et surtout il se sentira utile et valorisé.
Toutes les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne se ressemblent pas. Bien sûr, il y des symptômes communs mais les malades ne présentent pas tous les mêmes et l’évolution diffère d’un individu à l’autre. Etre dans un environnement dit favorable, stimulant et entouré d’affection peut retarder l’aggravation des symptômes et surtout atténuer la souffrance du malade. Le travail d’acceptation de la maladie avec ses retentissements sur la vie quotidienne doit être accompli par les proches.
S’adapter au proche malade
Il s’agit de faire le deuil de la personne telle que nous l’avons connue et d’accueillir avec le même amour celle qu’elle devient. Il faut accepter que ce qui fonctionne un jour ne fonctionnera peut-être pas le lendemain. Vivre « en pleine conscience » chaque moment passé avec la personne permet de décoder ses réactions, de les anticiper et de choisir les interactions qui fonctionnent le mieux. La façon dont nous lui parlons, l’écoutons et agissons induisent ses réactions et la qualité des relations. Le langage corporel utilisé est aussi important. Soupirer, lever les yeux au ciel ou croiser les bras sont autant de signes qui marquent notre agacement et qui vont être perçus par la personne malade. Apprendre à parler doucement, utiliser un timbre de voix chaleureux, faire des phrases courtes, ne pas poser de questions à choix multiples et surtout apprendre à l’écouter…sont autant de comportements à adopter au quotidien. Susciter la mémoire émotionnelle, notamment par la stimulation sensorielle sont aussi des pistes à explorer. Par exemple M. Martin adore sentir les odeurs de cuisine ou le parfum des fleurs de son jardin, cela l’apaise et l’aide à retrouver des souvenirs.
Des connaissances sont nécessaires tant pour les aidants naturels que pour les professionnels de l’accompagnement. Malheureusement beaucoup n’en bénéficient pas. Il n’est pas rare de voir des professionnels au contact de malades sans aucune formation préalable surtout dans les Ehpad privés. Leur permettre de vivre le plus longtemps possible parmi nous et peut être un jour en institution en restant jusqu’au bout des citoyens à part entière, est un défi qui nécessite un effort de la part de toutes les parties prenantes.
Stella Choque, cadre de santé formatrice IRFA Evolution