Pratiques thérapeutiques et médiation
Se développe plus précisément le mouvement des jardins dits « thérapeutiques », parfois appelés « jardins de soins ». Mouvement lui-même inscrit dans le contexte plus global de montée en puissance des approches psychosociales (le plus souvent appelées « non médicamenteuses »). Ces jardins thérapeutiques ont avant tout pour objectif l’amélioration ou le maintien de l’état de santé et du bien-être général, ils visent aussi à agir sur les signes cognitifs, comportementaux ou émotionnels de la maladie (apathie, dépression, agitation...). Le jardin devient alors support pour des activités thérapeutiques conduites, en collectif ou en individuel, par des professionnels formés : hortithérapie, écothérapie, ateliers/animations « flash », etc. L’installation d’un parcours de santé dans le jardin, utilisé sous la conduite d’un tiers ou de manière spontanée, poursuit le même objectif.
Si le terme générique « thérapeutique » s’est largement imposé pour qualifier les jardins dans des structures sociales, médico-sociales ou sanitaires, il ne peut suffire à rendre compte de la richesse et de la diversité des pratiques. Il les occulte même. Les jardins, et l’on peut s’en réjouir, offre une large gamme de possibles, que nous avions pu, dès 2013, avec Marie-Jo Guisset-Martinez et Olivier Coupry, soutenir et analyser (1).
Il importe d’abord d’opérer une distinction fondamentale, même s’il y a évidemment porosité, entre l’expérience du jardin/du jardinage (qui peut avoir des vertus thérapeutiques lorsque cette expérience est significative et plaisante pour ceux qui la vivent), et les pratiques thérapeutiques par la médiation du jardin/du jardinage.
Des bienfaits favorisant l’émergence du vivre ensemble
Les jardins peuvent être un support à l’accompagnement et à une autre approche du prendre soin : ils stimulent les capacités physiques, psychiques, cognitives, sensorielles et émotionnelles ; ils aident à maintenir la relation avec une personne malade, sachant que la sensorialité devient centrale dans la communication avec les personnes atteintes de troubles cognitifs. Lieux de promenade, mais aussi lieux de soins à des animaux, de plantations, de cueillettes, de jardinage, ils font appel aux centres d’intérêts, aux capacités des personnes, et permettent aussi parfois d’en développer des nouvelles. Les jardins offrent un cadre privilégié pour confier des responsabilités à des personnes, voire pour qu’elles en prennent elles-mêmes l’initiative (soin des animaux, entretien du jardin...), avec l’étayage des professionnels. Des gestes que l’on croyait perdus ressurgissent, de nouveaux s’acquièrent, en même temps que les personnes gagnent en confiance et retrouvent une utilité sociale. Au-delà des bénéfices pour les personnes accueillies/accompagnées, les jardins apportent également beaucoup à celles et ceux qui accompagnent et permettent aussi que la relation entre soignants et soignés s’établisse sur d’autres bases que celles qui prévalent dans les murs de la structure.
Peuvent aussi être mises en avant leurs vertus en matière de soutien à la vie sociale et familiale. En offrant un espace agréable, accessible et sécurisant pour tous, ils favorisent le vivre ensemble au sein des structures. Dès lors que le cadre est pensé pour favoriser la venue de tous – adultes, tout petits, adolescents –, ils permettent à la vie familiale de se poursuivre, à la personne de se faire l’hôte de ses proches. Les jardins peuvent aussi être appropriés de manière plus personnelle/intime par certains, qui, s’extrayant de la vie collective, investissent des espaces/recoins se dérobant à la vue des autres...
Enfin, les jardins constituent un support privilégié pour dresser des ponts entre le dedans et le dehors, en favorisant une vie sociale de proximité et des relations avec le voisinage. Au-delà des activités communes qui peuvent y être organisées, la localisation du jardin, son plan d’aménagement et son accessibilité peuvent contribuer à cette connexion entre l’intérieur et l’extérieur. Dans certains cas, il s’agit de créer la possibilité d’un simple contact visuel, dans d’autres, le jardin entourant une structure peut se faire « jardin public », partagé entre les résidents, familles, soignants et personnes venues de l’extérieur... Notons que certaines structures (établissements mais aussi services d’aide à domicile par exemple) n’ayant pas de jardin attenant à leurs locaux s’associent à des projets de « jardins partagés » à l’échelle du quartier. Le jardin contribue alors à une évolution des représentations sociales concernant les lieux d’hébergement, d’accueil et de soins, les personnes qui y ont recours et celles qui y travaillent, et œuvrent, en actes, pour que les résidents/personnes accompagnées soient considérés comme des habitants, membres de la communauté locale.
Au-delà d’être une « vitrine » de l’établissement
On le voit, les potentialités sont multiples en termes de bien-être, de liens, de convivialité, et donc de qualité de vie des personnes accompagnées, comme de celles et ceux qui les entourent (proches, professionnels, bénévoles). Mais, certains facteurs, humains et matériels, doivent être réunis (dès la conception du projet et de l’agencement de l’espace extérieur, mais aussi au moment de l’aménagement comme au long cours) pour que le jardin soit un espace vertueux et un véritable espace vivant et attractif pour tous, tout en étant adapté aux fonctions plus spécifiques qui lui sont fixées. On le sait, esthétiquement réussis, dotés des plus beaux aménagements paysagers ou de tous les équipements nécessaires, les jardins sont parfois pas ou peu utilisés. Ce faisant, ils ne sont que de belles « vitrines », de beaux « décors » dépourvus de sens pour ceux qu’ils visent. Dans d’autres cas, le jardin est mobilisé pour quelques activités thérapeutiques, au risque d’être uniquement convoqué comme une « recette », un « remède » en lui-même, réponse à un symptôme lié à une maladie ou un handicap.
Parmi les principaux facteurs, retenons le fait que le jardin fasse partie intégrante du projet d’établissement ; que le plus grand nombre adhère au projet et soit associé à sa conception autour d’une conviction partagée quant aux bienfaits de la nature/des espaces verts. Trouver l’équilibre pour que le jardin soit tout à la fois un support à l’accompagnement et un cadre favorable pour une vie « ordinaire » impose aussi de résister à une vision standardisée de ce que doit être le jardin d’une structure – tout projet étant nécessairement singulier –, et impose un travail de réflexion partagée sur la liberté d’aller et venir, sur le droit au risque afin que les portes d’accès au jardin ne restent pas closes par peur du danger.
Marion Villez, enseignant-chercheur en sociologie, université Paris Est Créteil
Notes de bas de page
(1) Guisset-Martinez Marie-Jo, Villez Marion, Olivier Coupry, Jardins : des espaces de vie au service du bien-être des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de leur entourage, rapport d’étude, 2013, Fondation Médéric Alzheimer.