De la clandestinité à l’officialisation
Au début des années 1970, j’ai protégé la présence clandestine, à l’hôpital, d’une chatte avec sa portée de chatons. Puis vers 1980, il fut possible d’introduire officiellement un chat en gérontopsychiatrie. Plus tard, j’ai dirigé un Ehpad et un réseau de domiciles collectifs pour malades d’Alzheimer (à un stade avancé) avec la présence de chats et de chiens qui ont entrainé plusieurs types de réactions. Les chats furent toujours appréciés, mais ont donné lieu à des rivalités selon qu’ils allaient plutôt vers une personne que vers une autre.
Les chiens accompagnant des visiteurs ou des professionnels ont toujours été appréciés, avec un effet mobilisateur. C’est ainsi que dans le cadre d’une recherche, une étudiante disait à des malades d’Alzheimer : « Voulez-vous, s'il vous plaît, tenir la laisse de mon chien cinq minutes ? », et que généralement, ceux-ci se redressaient dans leur fauteuil pour prendre l’initiative d’interactions avec l’animal.
En revanche, des chiens appartenant aux établissements ont engendré différentes attitudes. Présents en salle à manger, tous furent sur-nourris. L’un d’eux fut victime de maltraitances répétées de la part d’une malade. Mais j’en ai aussi vu vis-à-vis d’oiseaux. Un autre présenta des troubles comportementaux qui cessèrent quand on lui attribua un référent - un maitre parmi les membres du personnel.
Dans d’autres structures, l’introduction de différents animaux a été décrite : cheval, biches, chèvres, lapins et même animaux robots. Tous, notamment les mammifères à fourrure, semblent apporter un apaisement avec l’apparition de liens privilégiés.
Fonction transitionnelle et validité émotionnelle
Dans le cadre d’entretiens cliniques, un chien calme peut rassurer par sa seule présence, sa requête de caresses, et surtout l’expressivité de son regard. Du point de vue psychologique, plusieurs hypothèses sont possibles. On a beaucoup parlé d’une fonction transitionnelle, à la manière d’une peluche. Mais l’autonomie comportementale des animaux n’autorise pas à parler de médiation au sens strict du concept. Les propriétaires, eux, parlent plus volontiers du bienfait de l’amour qu’exprimerait leur animal. Certes chiens et chats entrent en interaction avec les humains, sur un mode attendrissant : les chats ronronnent et les chiens ont des regards émouvants. Mais on peut objecter que parler d’amour pourrait être une approche projective anthropomorphique aboutissant à parler d’amour, au sens humain, confronté à une demande comportementale d’attachement induisant la réciproque sans toutefois savoir lequel de l’humain ou de l’animal est à l’origine de l’interaction.
Quoi qu’il en soit, permettre à un malade d’Alzheimer de caresser un animal est de nature à solliciter chez lui ce qu’il conserve de validité émotionnelle semblable à la nôtre. Et, le rapport avec l’animal participe à un vécu partageable avec tout un chacun, pour ne pas dire à la base affective d’un langage non verbal commun. Ce sur quoi s’appuyer, pour offrir au malade une dernière partie de vie plus confortable, malgré les altérations cognitives.
Louis Ploton, psychiatre et ancien professeur émérite de gérontologie