Le droit pour les résidents d’accueillir un animal domestique
La situation va-t-elle pour autant changer ? A première vue, on pouvait le croire. Et pour cause, adoptée en première lecture, le 23 novembre 2023, par l’Assemblée nationale, la loi pour « bâtir la société du bien-vieillir en France » prévoit, en son article 11 bis E, l’obligation pour les Ehpad de garantir « le droit de leurs résidents d’accueillir leur animal domestique » et de prendre « les dispositions nécessaires à cet accueil ».
Le règlement intérieur des établissements ne devrait donc plus pouvoir refuser la présence d’un animal de compagnie ce qui est encore trop souvent le cas. Dans certains établissements, des animaux ont toutefois fait leur apparition : chiens, chats, lapins, poules mais ils sont rarement la propriété d’un usager. C’est la structure, le gériatre ou le service animation qui est responsable de l’animal.
Toutefois, la Commission des affaires sociales du Sénat a proposé, le 15 janvier 2024, la suppression de cet amendement, préférant imposer aux Ehpad de préciser dans leur règlement de fonctionnement « les conditions dans lesquelles leurs résidents peuvent accueillir leur animal domestique ». Selon les rapporteurs, « un droit opposable introduirait un réel risque pour les Ehpad, puisque les animaux peuvent poser des risques sanitaires (allergies, hygiène, chutes et morsures) mais aussi organisationnels en cas d’incapacité du résident de s’en occuper ». Le 6 février 2024, le Sénat a amendé le texte qui lui était soumis et a décidé que les résidents des Ehpad pourront garder leur animal de compagnie si le règlement intérieur de l'établissement l'autorise. C'est maintenant au tour de la Commission mixte paritaire de faire consensus autour d’un texte. Elle se réunira le 12 mars 2024.
En attendant, quel que soit le résultat de la navette parlementaire, il est nécessaire de connaître le cadre légal sur la responsabilité du fait des animaux qu’ils appartiennent aux résidents, à un membre de la direction ou du personnel, ou à un tiers intervenant bénévolement dans l’établissement dans le cadre de la médiation animale.
La question des soins à leur apporter sera posée s’agissant de propriétaires eux-mêmes diminués. Les atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique d’un animal sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de 3e classe. Les mauvais traitements à l’encontre des animaux domestiques sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de 4ème classe. La jurisprudence assimile l’abstention, c’est-à-dire le défaut de soins ou d’aliments, à l’acte positif de violence (Cass. crim., 4 déc. 2001, n°01-81.763).
En cas de carence du propriétaire qui prendra en charge l’animal pour éviter les condamnations ? Beaucoup d’interrogations demeurent.
Responsabilité civile et animaux
« Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé », (C.civ., art. 1243). Voilà pour la définition par le Code Civil de la notion de responsabilité du fait des animaux.
Pour être indemnisée, la victime n’a pas à démontrer la carence éducative ou un quelconque défaut de surveillance de l’animal par son propriétaire ou son gardien. Le simple fait que l’animal soit la cause directe du dommage de la victime suffit à engager leur responsabilité. Mais dans quelles conditions ?
1/ - L’intervention de l’animal ;
2/ - L’existence d’une personne responsable - Le propriétaire de l’animal est présumé en être le gardien. Pour échapper à sa responsabilité, il devra prouver qu’il n’avait pas la garde effective de l’animal au moment de l’accident, c’est-à-dire l’usage, le contrôle et la direction, et que ces pouvoirs ont été transférés à un tiers, auquel cas ce dernier sera alors responsable (CA LYON, 1ère Ch. civ., B, 2 févr. 2021, RG n°18/01145). Il convient de rappeler que si la victime est gardienne de l’animal au moment de l’accident, elle ne peut pas être indemnisée de ses préjudices, car les qualités de gardien et de victime sont incompatibles. Si le propriétaire de l’animal le confie à un tiers le temps d’une promenade, les tribunaux considèrent généralement que le propriétaire reste responsable.
3/ - L’existence d’un dommage réparable - Le préjudice subi par la victime peut être d’ordre corporel, comme une morsure à la main (CA RIOM, Ch. civ., 13 mai 2020, n° 18.02495), et matériel, comme un vêtement déchiré.
4/ - L’existence d’un lien de causalité - La victime doit démontrer que cet animal a joué un rôle causal dans son accident. Si l’animal était mobile et est entré en contact avec elle au moment de l’accident, la responsabilité de son propriétaire ou de son gardien est présumée, par exemple en cas de morsures de chien (CA PARIS, Pôle 4, Ch. 9, 18 juin 2020, N°19/21874). En revanche, si l’animal est inerte au moment de l’accident ou n’est pas entré en contact, il appartiendra à la victime de démontrer le comportement anormal ou agressif de l’animal, par exemple qu’elle s’est blessée en tentant de lui échapper.
Les causes d’exonération du propriétaire ou du gardien de l’animal
Il existe trois cas dans lesquels le propriétaire ou le gardien de l’animal pourra échapper, en tout ou partie, à sa responsabilité :
- Lorsque le dommage est dû à la faute d’un tiers, par exemple un chien devenu violent après avoir entendu des coups de pétard dans la rue ;
- Lorsque qu’intervient un événement cumulativement imprévisible, irrésistible, et extérieur qui échappe totalement à la volonté du propriétaire ou du gardien de l’animal, par exemple si l’animal renverse un passant car il est effrayé par un coup de tonnerre. Mais les juridictions admettent rarement les cas de force majeure ;
- Lorsque la faute de la victime a contribué, en même temps que l’action de l’animal, à son propre préjudice, par exemple si cette dernière s’est fait mordre après avoir elle-même excité l’animal. Cette faute sera partiellement exonératoire de responsabilité pour le propriétaire ou le gardien de l’animal. En revanche, si la faute de la victime constitue la cause exclusive de son préjudice, elle sera totalement exonératoire de responsabilité pour eux.
Lorsque l’animal s’est perdu ou s’est échappé, les juges ne l’assimilent pas à un cas de force majeure. Ainsi, s’il cause des dégâts, le propriétaire reste responsable.
Etienne Bataille et Muriel Cormorant, avocats