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Olivia Cattan, présidente de SOS Autisme : “L’autisme est devenu un marché colossal”

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Journaliste, Olivia Cattan est présidente de SOS Autisme France et auteure du Livre noir de l’autisme (éd. du Cherche-Midi) et du manifeste « Un autiste dans la cité ». 

Crédit photo Xavier Martin
Dans un livre à charge, Olivia Cattan, mère d’un adolescent autiste, entend briser l’omerta sur des traitements tous azimuts prescrits aux enfants autistes sans preuve d’une quelconque efficacité clinique. Des pratiques qui s’apparentent parfois à du charlatanisme et qui jouent sur le désespoir des familles.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à devenir une lanceuse d’alerte ?

Les parents espèrent voir disparaître les troubles autistiques de leur enfant, c’est normal. Moi-même, je me bats au quotidien pour voir progresser mon fils. Mais que des médecins et autres thérapeutes peu scrupuleux profitent de leur détresse et se servent de ces enfants en situation de handicap comme cobayes, c’est monstrueux ! Le vide abyssal laissé pendant des décennies par les pouvoirs publics dans la prise en charge de l’autisme fait que celui-ci est devenu un marché colossal. Des marchands d’espoir s’enrichissent sur le dos des familles en leur faisant miroiter une guérison possible sur la base de pseudo-traitements et de thérapies alternatives douteuses. Longtemps considéré par les psychanalystes comme un trouble psychique lié à la maltraitance de la mère, l’autisme est désormais vu comme une affection avec son lot de troubles handicapants, une simple différence, voire une autre forme d’intelligence. Pour d’autres, il est devenu une maladie organique, un fléau à éradiquer. Or ce n’est pas une pathologie mais un syndrome neurodéveloppemental. Et s’ils ont en commun des problèmes de communication et d’hypersensibilité sensorielle, les symptômes sont pluriels, allant de l’autisme sévère à l’autisme Asperger. Je ne conteste pas la recherche sur l’origine génétique, environnementale ou inflammatoire de l’autisme, sauf qu’aujourd’hui tout le monde fait sa « tambouille », sans protocoles officiels pour savoir ce qui est efficace ou pas.

 

Quelles sont exactement les dérives que vous dénoncez ?

Des médicaments sont prescrits hors indication, comme la naltrexone, qui sert au traitement de la toxicomanie et de l’alcoolodépendance. Des antibiotiques, antifongiques ou antiparasitaires sont administrés au long cours, avec des régimes sans gluten et sans caséine, paléolithiques ou à base de graines. Il y a aussi des détox à base de chlore, d’eau de Javel, des ordonnances de cortisone, d’hormone DHEA, du paracétamol donné à haute dose pour « calmer les crises »… On ne compte plus les méthodes farfelues, voire sectaires, comme la thérapie « Access Consciousness », apparue en France il y a cinq ans et présentée comme un soin énergétique censé vous « nettoyer » et « effacer vos mauvais fichiers ». Des coachs, souvent fraîchement reconvertis professionnellement, s’autoproclament spécialistes de l’autisme. Des groupes réunissant parents et médecins fleurissent sur les réseaux sociaux pour promouvoir un courant « biomédical », très en vogue, qui promet une échappatoire aux molécules chimiques prescrites par les psychiatres, alors qu’il n’y a souvent rien de naturel dans ce qui est proposé. Si des thérapeutiques sont sans danger, hors leur coût financier exorbitant, certaines sont risquées, les preuves scientifiques de leur efficacité faisant défaut. Pourtant, des ouvrages, des conférences, des vidéos diffusées sur le Net les accréditent. Il n’est pas question de juger les familles, mais de briser l’omerta qui règne dans ce milieu.

 

Comment les associations de parents ont-elles réagi à votre livre ?

En 2018, avec une autre maman, nous avions publié une tribune dans la presse pour alerter sur ce qui se passait(1). Enormément de parents nous ont soutenues, mais certaines associations ont mal réagi, et encore plus avec le livre. Certaines affirment qu’elles ne savaient pas, d’autres savaient mais estiment que c’est un faux combat, l’important pour elles étant de lutter contre les psychanalystes. Cela frise l’intégrisme car la psychanalyse n’est plus recommandée par la Haute Autorité de santé dans le traitement de l’autisme. L’annonce du diagnostic d’autisme représente un véritable ouragan. L’équilibre familial, le couple, la fratrie, la carrière professionnelle, le rapport aux autres sont bouleversés. Souvent, les mères s’arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants, ce qui les isole davantage. Comme il n’y a quasiment pas de médecins réellement spécialisés, les familles se tournent vers les associations ou vers des groupes de parents sur les réseaux sociaux, et ne sont pas à l’abri de mauvaises rencontres. Ce sont des cibles. Certains parents, désespérés, veulent avoir la liberté de tout essayer sur leurs enfants. Je n’aurais pas écrit ce livre si, à la suite de notre appel il y a deux ans, les pouvoirs publics avaient agi. Mais que ce soit le ministère de la Santé, le secrétariat d’Etat chargé de l’enfance et de la famille, celui chargé des personnes handicapées, tous ont brillé par leur silence. En continuant à me taire, je me serais sentie complice.

 

Avez-vous cette fois été entendue ?

Les choses bougent. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a saisi le procureur de la République afin d’ouvrir une enquête auprès du parquet de Paris sur les essais sauvages menés sur les enfants autistes sans autorisation, y compris dans des IME [instituts médico-éducatifs]. C’est à la justice maintenant de déterminer les responsabilités.

 

Que pensez-vous de la stratégie nationale pour l’autisme mise en place en 2018 ?

Mon association a soutenu ce programme dont les objectifs s’avéraient ambitieux. Mais force est de constater qu’ils ne sont pas suivis d’effets sur le terrain. Il s’agit plus d’actions de communication et de marketing qu’autre chose. La France a toujours des décennies de retard en matière d’autisme. Le dernier plan ne correspond pas à ce que vivent les familles. Certaines dépenses essentielles d’ergothérapie, de séances de psychologue ou de psychomotriciens ne sont toujours pas remboursées par la sécurité sociale. Il faut parfois débourser 300 à 400 € pour avoir un bilan avec un professionnel pratiquant une des méthodes de prise en charge conseillées par les autorités de santé. Alors que le dépistage précoce est préconisé, il faut toujours un à deux ans pour avoir un diagnostic dans un hôpital. L’inclusion scolaire des autistes est sur toutes les lèvres, mais combien d’autistes intègrent-ils un collège ou un lycée ? Les enseignants ont-ils été formés avec des outils pédagogiques adéquats pour accueillir des élèves différents dans leur classe ? Nullement. Une plateforme d’information et d’orientation a été créée. J’ai téléphoné pour trouver un atelier artistique pour mon fils, l’interlocutrice m’a répondu de chercher sur Google. C’est une blague ! Bien qu’ayant de nombreux contacts, je me suis retrouvée sans AESH [accompagnant d’élèves en situation de handicap] à la rentrée dernière et j’ai dû recruter une personne par moi-même. Si vous habitez en Dordogne, que vous n’avez pas de réseau, pas d’argent, c’est quasiment une mission impossible. La situation demeure dramatique pour nombre de familles, avec des inégalités sociales et des disparités sur tout le territoire.

 

Notes

(1) Disponible via le lien https://bit.ly/35Jiblx.

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