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Immigration : la pertinence du bilan annuel du ministère de l’Intérieur contestée

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Droit d'asile immigration

Dessin d'illustration 

Crédit photo Plantu - Coordination Française pour le droit d'asile - Creative Commons
Le premier bilan statistique du ministère de l’Intérieur concernant la migration et la protection internationale en 2020 montre que la crise sanitaire et sociale liée à la Covid-19 a fait sensiblement régresser les demandes de titres de séjour et d’asile. Si la tendance révélée par les chiffres est incontestable en raison de l’absence de liaisons aériennes et de la fermeture des frontières durant l’année, leur manque de précision freine leur analyse et leur utilisation par les professionnels du secteur, alors qu’il s’agit d’un précieux outil de travail.

Rendues publiques le 21 janvier par le ministère de l’Intérieur, les premières statistiques disponibles sur la migration et la demande d’asile en 2020 sont sans appel. La fermeture des frontières et les contraintes de circulation générées par la crise sanitaire liée à la Covid-19 auront, sans surprise, fait sensiblement régresser le nombre de demandes de titres de séjour et de protection internationale.
De facto, le ministère observe sur l’année 2020 une baisse de 79,8 % de visas délivrés, ce qui correspond à 712 311 visas. « Le nombre de visas de court séjour pour l’espace Schengen diminue plus encore (- 82,9 %), tandis que les visas de long séjour connaissent une baisse moins marquée de 37,1 %, et encore moins marquée s’agissant du public étudiant (28 %) », indique le ministère.

Il est à noter que les chiffres publiés rendent partiellement compte des flux migratoires et ne proposent donc pas un état des lieux précis de la situation migratoire en France. « Leur analyse est confuse, dans la mesure où elle ne tient pas compte des personnes qui sont sur le territoire depuis de nombreuses années », précise Gérard Bouvier, administrateur de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) et statisticien, spécialiste des données sur l’immigration. Autre inexactitude pointée : ces chiffres comprennent aussi les visas délivrés aux étudiants qui, bien que représentant le tiers de la délivrance totale, n’intègrent pas la définition de l’immigration, un tiers d’entre eux s’installant ensuite durablement en France.

La primo-délivrance des titres de séjour a, quant à elle, diminué de 20,5 % (estimation fondée sur la tendance au 31 décembre 2020), ce qui correspond à 220 535 visas délivrés. Sur cette question-là, si la tendance à la baisse est cohérente, l’association La Cimade regrette l’imprécision des données. « Nous savons combien de titres ont été délivrés mais nous n’avons aucun regard sur le nombre de demandes déposées », déplore Gérard Sadik, responsable national « asile » pour l’association. Le manque de détail empêche, selon lui, de comprendre les raisons pour lesquelles la baisse des primo-arrivants n’est pas plus significative.

Baisse des demandes d’asile

Concernant la protection internationale, l'an dernier, 81 669 premières demandes d’asile et 11 157 réexamens ont été déposés au sein des guichets uniques de demande d’asile (Guda), ce qui correspond à des baisses respectives de 41 % et de 8,6 % par rapport à 2019. Parmi les demandes, 22 462 ont été formulées en dehors des Guda (procédure dite «Dublin»).

« Une telle baisse s’explique par la crise sanitaire de la Covid-19, et plus précisément par l’impact des confinements sur l’activité des Guda et sur la circulation des étrangers », précise la direction générale des étrangers en France (DGEF).

En termes de traitement, toujours pour l’année dernière, 70 036 décisions ont été rendues par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), soit - 26 % par rapport à 2019, et 42 025 par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), soit - 36,8 %. Malgré la réduction du nombre de dossiers déposés, la durée de traitement des demandes n’a pas été réduite. En effet, toutes procédures confondues, elle est passée de 161 jours en 2019 à 262 jours en 2020, alors que le gouvernement se donne pour objectif de ramener à six mois le traitement d’ensemble des demandes et à 60 jours celui de l’Ofpra. « L’espoir de voir les délais de traitement raccourcis par la baisse significative des demandes ne s’est pas concrétisé puisqu’ils ont sensiblement augmenté. Cela s’explique par l’arrêt des services de l’Ofpra, des préfectures et des associations au printemps dernier ainsi que par leur reprise au ralenti à l’automne », explique Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d’asile.

Données approximatives

Le taux de protection accordé par l’Ofpra sur l’année s’est élevé à 23 % et celui accordé par la CNDA, à 37,7 %. Ainsi, environ 33 000 personnes ont obtenu en 2020 le statut de réfugié (dont la protection subsidiaire).

Par ailleurs, l’Afghanistan, le Bangladesh et le Pakistan sont les pays dont les ressortissants sont les plus nombreux à avoir fait une demande d’asile en France. Parmi les changements significatifs l’an passé, l’Albanie et la Géorgie ne font plus partie des dix premiers pays du classement, ce qui était systématiquement le cas ces dernières années. « Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce changement mais, pour l’heure, nous n’avons pas assez de précisions pour le comprendre. Le fait qu’avant l’épidémie ces personnes entraient sur le territoire par des voies classiques telles que le transport aérien est une probabilité. Ils ont en effet pu être plus impactés par la fermeture des frontières que les populations qui se déplacent par des voies irrégulières », explique Laurent Delbos, chef de mission plaidoyer pour l’association Forum réfugiés-Cosi.

Au manque de recul sur les chiffres de 2020 s’ajoute leur imprécision, estime Laurent Delbos. L’ensemble des acteurs interrogés sur la question des chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur regrettent le fait de devoir régulièrement émettre des hypothèses quant à leur interprétation. Par exemple, le total des attributions de la protection internationale s’élève à 24 118. Or il s’agit là du nombre de décisions. Il est en réalité question de 33 000 personnes concernées en incluant les mineurs accompagnants, et des conséquences directes sont à déplorer. Les politiques publiques ne peuvent pas adapter leurs actions à la réalité et le nombre de places d’hébergement à prévoir est difficile à anticiper.

Appel à la précision des statistiques

Pourtant, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) publie chaque mois un bilan d’entrée dans les dispositifs d’accueil. Là encore, son inexactitude est manifeste en raison des statistiques rendues publiques incomplètes : taux d’occupation, allocation aux demandeurs d’asile, nationalité… La demande des acteurs du secteur se porte aussi sur la publication de statistiques régionales régulières. « Cela nous permettrait de faire une analyse plus précise et de comprendre les évolutions », confirme la directrice générale de France terre d’asile.

« Avec la logique de l’open data, nous pourrions obtenir l’état de la demande d’asile et du dispositif d’accueil régulièrement. Ces données existent, mais les réponses à nos demandes pour les obtenir auprès du ministère de l’Intérieur sont négatives. Nous mettons trois ans à les recueillir. C’est déplorable », indique Gérard Sadik.

Autre conséquence directe de ces lacunes : les données comparatives de l’Union européenne sont fausses. Les chiffres transmis par la France à l’organisme Eurostat chargé de l’information statistique à l’échelle communautaire sont erronés, car ils ne comprennent pas les personnes concernées par la procédure « Dublin », au nombre de plusieurs milliers.

 

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