Dix minutes pour se laver le haut du corps, dix autres pour le bas, deux minutes et demie pour se brosser les dents trois fois par jour, 15 minutes pour manger... Ce chiffrage extrêmement précis et restrictif des actes de la vie quotidienne est tiré de l'annexe du guide "Appui aux pratiques des équipes pluridisciplinaires de MDPH [maisons départementales des personnes handicapées] - guide PCH [prestation de compensation du handicap] aide humaine", diffusé par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) en 2014, "pour test sur le terrain", dont la Coordination handicap et autonomie demande l'abrogation par voie de pétition.
Cet outil a été conçu afin "d'assurer l'équité de traitement des demandes sur tout le territoire", explique son introduction, alors que les textes réglementaires relatifs à la PCH "laissent une grande marge de manoeuvre aux équipes pluridisciplinaires des MDPH", dans un objectif d'individualisation. Motif du minutage proposé aux équipes pluridisciplinaires : "Pour être la plus proche possible du cadre défini par la loi et les textes réglementaires, l'attribution des temps d'aide humaine doit être fondée sur une description précise des gestes à réaliser par l'aidant et sur le temps réellement consacré à la réalisation des différentes activités".
Un "grave recul" par rapport à la loi
Si le texte précise que les temps mentionnés sont "indicatifs" et que l'évaluation doit tenir compte d'un éventuel environnement facilitant ou de la présence de facteurs aggravants, "la réalité est de faire porter le poids des coupes budgétaires sur les plus fragiles", à l'heure où les conseils départementaux cherchent des sources d'économies budgétaires, dénonce la Coordination handicap et autonomie. Elle observe que les MDPH "qui commencent à utiliser ce document depuis le 1er janvier 2016", date correspondant au renouvellement des PCH aide humaine attribuées en 2006, "appliquent uniquement les temps moyens" figurant dans les tableaux Excel de l'outil. "Du coup on assiste actuellement, dans les départements concernés, à une baisse considérable du nombre d'heures attribuées".
En minutant et en décortiquant tous les aspects des "heures d'aide humaine" de la PCH, le texte va plus loin que le référentiel en vigueur, annexé au code de l'action sociale et des familles, qui fixe des temps plafond pour les actes "essentiels", tout en prévoyant des majorations et surtout en rappelant que l'évaluation doit tenir compte du projet de vie de la personne, dénonce l'association. Plus globalement, elle considère que l'outil constitue un grave recul par rapport à l'esprit de la loi du 11 février 2005. "L'humiliation est présente à toutes les étapes et porte atteinte à la dignité des citoyens dont la vie intime est décortiquée et déclinée en secondes". Elle s'insurge également contre l'introduction de nouveaux éléments d'appréciation, comme la distinction entre intervention active et temps de présence, entre auxiliaire de vie salarié et aidant familial...
Au final, le guide porte, à ses yeux, "les germes d'une violation claire de l'article 19 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées" (sur le droit à l'autonomie de vie, à l'inclusion dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes) et "remet sur le devant de la scène la notion de 'maltraitance passive' telle que décrite en 2003 par Mme Boisseau, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées, et dont l'action a marqué le début des travaux de la loi de 2005".
Outil testé dans dix MDPH
Contactée par les ASH, la directrice de la CNSA, Geneviève Gueydan, indique que l'élaboration du guide s'inscrit dans le rôle de l'institution de proposer des outils et méthodes, de veiller à l'égalité de traitement sur le territoire et de diffuser des bonnes pratiques. "Le travail a été engagé en 2011 avec une cinquantaine de MDPH et le guide diffusé, en test et non en version définitive, en 2014, qui balaie et éclaircit le cadre juridique de la PCH, est une première version comportant des annexes, dont un outil d'aide à la décision sur la définition des besoins et des temps", explique-t-elle.
Dans le cadre d'une évaluation réalisée en juin 2016, l'outil a été testé dans dix MDPH à travers les mêmes situations types. "Il en ressort des aspects positifs qui valident l'idée de produire un guide d'aide aux MDPH sur cette prestation particulièrement complexe, mais aussi des points perfectibles, notamment sur le besoin d'insister sur le caractère indicatif de l'outil d'aide à la décision et d'avoir une approche moins morcelée du sous-découpage des actes essentiels", explique Geneviève Gueydan. Sans remettre en cause ce fractionnement, l'idée serait de rappeler "la caractéristique de la PCH, qui doit prendre en compte des besoins individualisés et un projet de vie global". Décision a donc été prise, poursuit-elle, de reprendre les travaux dans l'objectif de réviser le document, pour le printemps 2017, en tenant compte des résultats de l'évaluation et des remontées des associations. Problème, s'il n'a pas de statut définitif, le guide a bien été adressé à l'ensemble des MDPH pour recueillir leur avis. La CNSA estime que son usage "n'est ni généralisé, ni systématique, même dans les départements qui ont voulu participer à l'évaluation". Et assure que le "message sera passé que ce n'est pas, à ce stade, un outil validé généralisé".