Au lendemain de leur rencontre avec la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, et son homologue de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, sur la préparation de l'évacuation du campement de la lande, plusieurs associations ont déposé, mercredi 12 octobre dans la soirée, un référé-liberté devant le tribunal de Lille enjoignant "aux pouvoirs publics de procéder à une évaluation précise des besoins de protection de toutes les personnes exilées présentes sur la jungle, et ce, avant de mettre en oeuvre un quelconque démantèlement", précise le Secours catholique dans un communiqué diffusé jeudi 13 octobre.
Alors que l'audience devant le tribunal se tenait vendredi 14 octobre et que la décision doit être rendue avant samedi 15 à minuit, le Secours catholique, présent "depuis des années auprès des migrants de Calais", explique le "pourquoi de [sa] décision". Il rappelle d'abord que lorsque les deux ministres ont réuni les acteurs associatifs, le 20 septembre, pour leur présenter le plan de démantèlement de la "jungle", ceux-ci ont "apporté un soutien global" au projet, tout en posant leurs conditions. Ils avaient demandé qu'un "diagnostic complet et partagé soit réalisé, en prenant le temps nécessaire pour un examen individuel des situations", poursuit le Secours catholique, en soulignant que Bernard Cazeneuve et Emmanuelle Cosse avaient donné leur accord sur un tel processus, leur proposant "de travailler en confiance, dans la transparence".
Crainte d'une opération "sécuritaire et brutale"
Ces engagements n'ont cependant pas été respectés, jugent aujourd'hui la dizaine d'associations (voir liste en note) qui ont décidé d'en appeler à l'arbitrage du tribunal administratif. En effet, "contrairement aux propos tenus, l'opération de démantèlement de la jungle est prévue très rapidement et doit se réaliser en quelques jours", écrit le Secours catholique.
"Dans ces conditions, toute préparation sérieuse permettant la prise en compte de la situation des personnes est impossible. Le diagnostic annoncé se résume à un comptage aléatoire, ne pouvant ni apprécier ni respecter les droits essentiels des personnes exilées. Par ailleurs, le caractère très rapide de l'opération ne peut que provoquer de nombreuses tensions". Et faire de cette évacuation, estime l'organisation, une opération tout sauf humanitaire, mais au contraire "sécuritaire et brutale". "Nous ne sommes pas favorables au maintien du bidonville, mais il y a des engagements indispensables et préalables à cette disposition, en particulier la mise en place d'un véritable diagnostic individuel pour apporter des mesures adaptées et dignes, et cela sans coercition, à toutes les personnes concernées", explique Vincent de Coninck, chargé de mission du Secours catholique dans le Pas-de-Calais.
Si toutes les associations présentes dans le Calaisis s'accordent sur ce dernier point, des "divergences existent sur le timing" du démantèlement, reconnaît Florent Gueguen, directeur général de la FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale). "Nous ne souhaitons pas retarder l'opération pour retarder l'opération", argumente-t-il. Tout en soulignant l'importance de disposer d'un certain nombre d'informations (nationalité, composition familiale, problématiques de santé…) concernant les migrants partants du bidonville pour rejoindre les centres d'accueil et d'orientation (CAO) sur le territoire, Florent Gueguen se déclare partisan d'un "diagnostic léger, mais individuel", l'objectif étant, pour son organisation, que l'évacuation s'engage assez rapidement "dans l'intérêt des personnes" : "Il y a des CAO qui ouvrent et plusieurs milliers de migrants qui attendent de quitter la 'jungle'. Nous intégrons également le climat politique actuel. Il n'y aurait rien de pire que des CAO prêts à accueillir des personnes et que celles-ci n'arrivent pas". A cela s'ajoute la préoccupation liée à l'approche de la période hivernale : "Nous souhaitons que les personnes soient hébergées avant le déclenchement du plan hivernal qui sera particulièrement compliqué [cette année]".
Le sort des mineurs isolés toujours incertain
Autre point de tension entre le gouvernement et les associations : le choix du premier "de supprimer, à court terme, les installations du centre d'accueil provisoire (CAP) et du centre Jules Ferry, et donc d'annihiler les efforts entrepris depuis trois ans pour tenter d'apporter une solution humaine à la situation des exilés sur le Calaisis", dénonce le Secours catholique. C'est en effet le "deuxième préalable", insiste Vincent de Coninck : "le maintien de façon pérenne [de ces] installations d'orientation. Car on ne peut pas croire qu'il n'y aura plus personne après le démantèlement...". Là encore, Florent Gueguen tempère cette analyse : "l'avenir du CAP est l'un des points qui a avancé" lors de la rencontre avec Emmanuelle Cosse et Bernard Cazeneuve, juge-t-il. "Au départ, le ministre de l'Intérieur ne souhaitait pas le maintien mais sa position a évolué. Si le projet de reconversion du CAP n'a pas clairement été défini, ni acté par le gouvernement, l'idée est celle d'un CAO de transit où les personnes n'auraient pas vocation à rester. Cela afin d'éviter l'émergence de nouveaux campements et accueillir les mineurs non accompagnés". La FNARS doit ainsi écrire un projet dans ce sens avec l'association la Vie active, qui gère 2 000 places d'hébergement pour le compte de l'Etat à Calais. Celui-ci devra ensuite être validé par l'Etat et le conseil départemental.
Seul sujet qui fait consensus chez l'ensemble des acteurs associatifs : la question des mineurs non accompagnés, loin d'être réglée. "C'est un vrai sujet de préoccupation sur lequel nous n'avons aucune information concrète", alerte Vincent de Coninck. "Ils ne peuvent pas aller en CAO car ce dispositif n'est pas adapté".
Sur ce sujet, une délégation de quatre défenseurs des enfants - Geneviève Avenard pour la France, Anne Longfield, commissaire des enfants anglaise, Bernard De Vos, délégué général aux droits de l'enfant de la Communauté française de Belgique et Bruno Vanobbergen, commissaire aux droits de l'enfant flamand - s'est rendue jeudi 13 octobre à Calais, "afin d'obtenir des réponses et des garanties fermes quant au dispositif prévu par le gouvernement pour protéger et prendre en charge les 1 000 enfants sur place", indiquent les services du défenseur des droits. Lors du point presse qui a suivi leur visite, Geneviève Avenard s'est déclarée "plus qu'inquiète" du sort des mineurs de la "jungle" de Calais, et a appelé à ne pas démonter tout de suite les locaux en dur pour y loger ces enfants après le démantèlement, rapporte l'AFP.
La défenseure des enfants et ses homologues britannique et belges ont proposé que les mineurs, dont le nombre est estimé à 1 300 par France terre d'asile, "puissent rester dans des dispositifs de protection qui seraient installés au centre d'accueil provisoire". En effet, il n'y a "pas d'autre alternative pour accueillir un nombre aussi important de personnes", a ajouté Geneviève Avenard, en indiquant avoir reçu "plus qu'une oreille attentive" sur cette question de la part de la préfète du Pas-de-Calais. "Une réflexion [serait] déjà engagée sur cette hypothèse", a-t-elle encore précisé à l'AFP.
Les co-requérants sont le Secours catholique, Emmaüs France, le GISTI, EliseCare, Utopia 56, L'Auberge des migrants, Le Réveil voyageurs, la Cabane juridique ainsi des associations britanniques (Care4Calais, Help Refugees, Refugee Youth Service).