Après avoir fait partir, fin janvier, quelque 600 migrants d'une zone de la "jungle" de Calais jouxtant la rocade portuaire et les habitations avoisinantes, les services de l'Etat ont annoncé, le 12 février, vouloir évacuer la moitié de la superficie du campement. Les autorités, rapporte l'AFP, ont pour objectif d'"arriver à 2 000 migrants" au total, "que plus personne ne dorme dehors", ce qui devrait passer, à terme, par le démantèlement de la totalité du bidonville, dans lequel vivent aujourd'hui environ 4 000 personnes.
Cette décision suscite de vives inquiétudes. Dans un courrier adressé jeudi 18 février au ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, huit associations - ATD quart monde, le CCFD Terre solidaire, la Cimade, Emmaüs France, la FNARS, Médecins du monde, le Secours catholique et le Secours islamique France - expriment leur "profonde opposition à ce projet qui ne s'accompagne pas, à ce jour, de véritables solutions alternatives". La préfecture évoque les 1 500 places du centre d'accueil provisoire ouvert en janvier dans le campement, relèvent les signataires. Mais, estiment-ils, "s'il faut apprécier l'intervention directe de l'Etat dans ce dispositif, nous ne pouvons que constater qu'il est encore largement sous-dimensionné et que des améliorations en termes de respect de l'intimité des personnes et des conditions de vie sur le site sont fortement requises. Si disparaissent les lieux de vie existant à côté dans la 'jungle', il est fort probale que les exilés refuseront, pour beaucoup, d'accepter cet espace contraint".
Longue liste de dysfonctionnements
Autre solution aux yeux de la préfecture : les centres d'accueil et d'orientation (CAO), ouverts dans plusieurs régions pour mettre à l'abri les migrants installés dans la "jungle". "Les places disponibles comme la création de ces 'centres de répit' ont constitué une innovation intéressante. Mais leur mise en oeuvre se réalise dans une telle improvisation qu'ils ne sont pas en mesure, aujourd'hui, de répondre à leur objet", considèrent les associations. Lesquelles dressent une longue liste de dysfonctionnements : "Absence de comité de pilotage national, coordination locale entre services publics, élus locaux, opérateurs [et] associations tatônnante ou inexistante, absence d'évaluation sanitaire et sociale et non prise en compte des besoins des exilés avant leur orientation vers les CAO, manque d'information ou désinformation des exilés sur le fonctionnement des CAO créant des situations d'échec et de retours vers la lande, faible application de la possibilité d'admission vers l'Angleterre, orientation de mineurs isolés étrangers, etc". Au final, alors que ces structures devraient aussi permettre aux migrants de décider ou non d'une demande d'asile en France, "l'inorganisation actuelle et l'insuffisance des moyens déployés rendent illusoire la réalisation de cet objectif".
Projet "inacceptable"
Les huit associations demandent, par ailleurs, une "renégociation d'ensemble et transparente des conditions dans lesquelles la France et le Royaume Uni se répartissent l'accueil des exilés". Et regrettent que les services de l'Etat "n'ont pas fait le nécessaire pour prendre les mesures de recensement et d'examen des situations qui permettent la saisine des autorités britanniques afin que les exilés y ayant des proches puissent y accéder en utilisant les voies légales existantes". Les signataires soulignent que, après la décision du conseil d'Etat, en novembre dernier, enjoignant aux pouvoirs publics de mettre en œuvre des mesures sanitaires d'urgence pour améliorer les conditions de vie des migrants à Calais, les ordonnances rendues le 11 février par le tribunal administratif de Lille, saisi par cinq mineurs isolés étrangers, "ont montré à quel point les défaillances de l'Etat étaient manifestes, y compris pour les plus vulnérables".
Sans un accompagnement adapté et sans une amélioration quantitative et qualitative de l'accueil dans le centre d'accueil provisoire et des mesures pour permettre l'admission en Grande-Bretagne de tous ceux qui y ont des proches, "le démantèlement de la 'jungle' ne pourra produire que de nouvelles atteintes graves aux droits des personnes", concluent les associations, jugeant ce projet "inacceptable". Elles demandent donc au ministre de l'Intérieur de surseoir à l'évacuation prévue et indiquent qu'elles s'opposeront à cette dernière si elles n'étaient pas entendues.