Saisi le 26 octobre, en référé, par Médecins du monde et le Secours catholique, aux côtés de six requérants soudanais, érythréen, irakien, afghan et syrien, le tribunal administratif de Lille (Nord) a ordonné, lundi 2 novembre, à l'Etat et à la ville de Calais (Pas-de-Calais), de réaliser des aménagements sanitaires permettant d'améliorer les conditions de vie des quelque 6 000 migrants présents aujourd'hui sur la lande calaisienne, dans un campement installé à proximité du centre Jules-Ferry.
Soutenues par plusieurs autres organisations (dont la Cimade, la LDH, Amnesty International France, le MRAP, le GISTI), les deux associations à l'origine de la procédure ont accueilli, avec une satisfaction toutefois mesurée et teintée de vigilance, cette décision qui leur donne partiellement raison en enjoignant, en premier lieu, au préfet de procéder, dans un délai de 48 heures, "au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement".
Des points d'eau et des poubelles
Le tribunal prescrit aussi aux pouvoirs publics plusieurs mesures à mettre en oeuvre dans un délai de huit jours, "sous astreinte pour chacune d'elles de 100 euros par jour de retard" : créer dix points d'eau supplémentaires comportant chacun cinq robinets, mettre en place 50 latrines à fosse ou cuve étanche compte tenu de la nature sablonneuse du terrain, ainsi qu'un dispositif de collecte des ordures avec l'installation de conteneurs-poubelles de grande capacité à l'intérieur du site et/ou de bennes supplémentaires, procéder au nettoyage du site, créer un ou plusieurs accès à l'intérieur du camp pour permettre l'accès des services d'urgence et le cas échéant le déplacement des conteneurs poubelle.
Les autres demandes des organisations, qui portaient notamment sur la mise à l'abri et l'accès aux soins, ont en revanche été écartées, eu égard aux assurances données par les représentants de l'Etat, "sous réserve toutefois que les mesures annoncées à l'audience par le préfet du Pas-de-Calais et l'agence régionale de santé, en ce qui concerne l'hébergement et la prise en charge sanitaire [des personnes vulnérables] soient mises en oeuvre à très brève échéance".
Une satisfaction réservée
"Cette ordonnance confirme que la requête déposée la semaine passée était pleinement justifiée : les conditions minimales de vie et d'hygiène ne sont pas assurées dans la jungle de Calais", commente le Secours catholique dans un communiqué, en appréciant "positivement les mesures urgentes que le juge enjoint au préfet et à la mairie de mettre en oeuvre", tout en prenant "acte des engagements pris par le ministère de l'Intérieur en matière de protection et d'hébergement des plus vulnérables (femmes et personnes malades), en matière médicale (par la mise en oeuvre des mesures préconisées par la mission sanitaire récente), en matière de développement des offres de mise à l'abri et d'hébergement, en matière d'accès facilité à la procédure d'asile". Des engagements qui ont été "actés par le juge qui a donc estimé sans objet de les reprendre en injonctions", constate en effet l'association, qui demande cependant à rencontrer Bernard Cazeneuve "dès que possible", pour en savoir plus sur leurs modalités de réalisation. Le Secours Catholique se réserve d'ailleurs "la possibilité de saisir à nouveau la justice si les promesses et engagements s'avéraient non tenus ou insuffisants".
Même son de cloche du côté de Médecins du monde, qui se félicite, par la voix de Jean-François Corty, directeur des missions France, d'une "forme de victoire" car "le juge a contraint les autorités à prendre des mesures d'urgence", selon l'AFP. L'association se réserve néanmoins, également, "la possibilité de faire appel" dans un délai de 15 jours, en cas de non-application des mesures prescrites.
Quant à la préfecture du Pas-de-Calais, elle a noté, "avec satisfaction", que "le juge n'a pas retenu à l'encontre de l'Etat les manquements allégués par les requérants, du fait des mesures déjà prises", en assurant que "les marchés correspondants souhaités par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, vont même au-delà des injonctions aujourd'hui formulées par le juge", en matière de nettoyage, de collecte des déchets et d'installation de latrines par exemple, dont la mise en oeuvre "interviendra avant le terme des huit jours fixés par le juge". Mais l'Etat se réserve, lui aussi, le droit de faire appel, "sur la question de principe". Bernard Cazeneuve s'est en effet montré agacé par cette procédure, mardi 3 novembre sur France Info, en déclarant : "Ce ne sont pas les critiques qui me choquent. Ce qui me choque, ce sont les procès injustes. Des organisations non gouvernementales ont enclenché cette action alors que je leur avais indiqué préalablement que je mettrais en oeuvre l'ensemble de ces actions humanitaires, et sans d'ailleurs que ces organisations non gouvernementales m'aient informé qu'elles enclencheraient cette initiative judiciaire".
Ordonnance du 2 novembre 2015, TA de Lille, à télécharger sur le site du Secours catholique.