Saisi de plusieurs réclamations relatives à des sujets tels que les difficultés d'accès aux soins ou le comportement des forces de l'ordre, le défenseur des droits a rendu publique, mardi 6 octobre, une série de recommandations visant à mettre fin aux "difficultés que les exilés, maintenus à Calais contre leur gré, rencontrent dans l'accès aux droits fondamentaux", dans un rapport qui survient quelques jours après l'annonce par Emmaüs France de son intention de "rompre tout dialogue avec le gouvernement", en raison de son absence de réponse à la catastrophe humanitaire en cours sur la Côte d'Opale.
Dans ses préconisations, Jacques Toubon rappelle ainsi "le caractère inconditionnel du droit à l'hébergement d'urgence consacré par la loi" et demande, entre autres, "que des moyens financiers et matériels supplémentaires soient alloués à la gestion du centre d'accueil Jules-Ferry, qu'au moins dix points d'eaux supplémentaires soient installés sur la zone concernée, et qu'un dispositif régulier de ramassage des ordures soient mis en place". Il réclame aussi des moyens pour la permanence d'accueil sanitaire et sociale (PASS) en activité à l'hôpital de Calais et "qu'une 'PASS mobile' soit créée pour pouvoir intervenir directement dans le bidonville".
"Extrême vulnérabilité"
Des mesures particulières doivent également être mises en oeuvre pour protéger les mineurs, "isolés ou non, qui se trouvent dans le Calaisis", poursuit le défenseur, qui attire aussi "l'attention des pouvoirs publics sur l'extrême vulnérabilité des femmes présentes". A cet égard, il préconise que le nombre de places d'hébergement qui leur sont allouées soit triplé. Selon le ministère de l'Intérieur, il doit être doublé pour passer de 100 à 200 places. "Toutefois, des réponses exclusivement humanitaires, aussi urgentes soient elles, ne sauraient suffire", souligne enfin Jacques Toubon, car "Calais reste le symptôme, certes spectaculaire, des écueils de la politique migratoire de l'Union européenne tendant à la réduction des voies légales d'émigration". Et le défenseur de rappeler "que le droit de quitter un pays, y compris le sien, notamment pour demander l'asile, est un droit internationalement et constitutionnellement consacré".
Autant de préoccupations qui recoupent celles exprimées, une nouvelle fois, par les associations intervenant auprès des migrants à Calais - la Cimade, la Croix-Rouge, Emmaüs, Médecins du monde, Médecins sans frontières, le Secours catholique, La Vie active -, devant le ministre de l'Intérieur, au cours d'une réunion organisée place Beauvau, vendredi 2 octobre, à l'issue de laquelle le président d'Emmaüs France, Thierry Kuhn, a rendu publique une vive déclaration visant à expliquer "les raisons qui motivent Emmaüs à rompre tout dialogue avec le gouvernement".
Rupture de dialogue
"Révolté par l'inertie malsaine du gouvernement et par l'incapacité de son ministre de l'Intérieur à apporter enfin des réponses adaptées à l'ampleur de la catastrophe humaine à Calais", le responsable de l'organisation s'indigne ainsi de voir que, "sciemment, délibérément, par aveuglement ou perfidie, le gouvernement se refuse à prendre des décisions qui, seules, seront de nature à apporter dignité et respect des droits fondamentaux aux 3 000 personnes actuellement bloquées à Calais dans des conditions insupportables et honteuses pour notre République", et dénonce "le décalage abyssal entre l'indécence des moyens mis sur la table et ceux qu'appelle la réalité de la situation". Pour Thierry Kuhn, "une catastrophe à grande échelle s'annonce à Calais dans les jours qui viennent à l'approche de l'hiver", et "le plus choquant est d'entendre les représentants du gouvernement se féliciter de la création du centre Jules-Ferry quand on sait qu'il n'abrite qu'un nombre infime de femmes et d'enfants, laissant des milliers de personnes dormir dehors, sauvagement 'encampés'".
Ce coup de gueule n'aura cependant pas de conséquences sur l'action des acteurs du mouvement Emmaüs, et en particulier de la communauté de Dunkerque, qui continueront d'apporter leur aide aux migrants échoués sur la côte d'Opale, a indiqué Thierry Kuhn aux ASH. Mais, "au-delà de l'urgence sanitaire, c'est la question de l'ouverture de la frontière avec la Grande-Bretagne qui constitue l'enjeu principal", a-t-il insisté, en s'insurgeant du refus persistant du ministre de l'Intérieur d'aller dans ce sens, pour ne pas froisser les autorités britanniques et "sous prétexte qu'elle entraînerait un 'appel d'air'".
Des moyens sous-calibrés
Quant aux places d'accueil supplémentaires attendues à Calais, Bernard Cazeneuve a déclaré aux associations que le marché du nouveau campement de 1 500 places, dont la création avait été annoncée par Manuel Valls en août dernier, était attribué à l'association La Vie active - et non à la Croix-Rouge, qui s'était aussi portée candidate -, et que cette structure ne serait opérationnelle qu'en mars 2016. Les organisations ont ainsi unanimement exprimé leur "mécontentement sur les délais, ainsi que sur les moyens mis en oeuvre, largement sous-calibrés par rapport à la réalité des besoins", a déclaré aux ASH Jean-François Corty, directeur des missions France de Médecins du monde, en déplorant notamment l'absence totale de mesures sanitaires prises par le gouvernement. A cet égard, les organisations ont cependant obtenu qu'une réunion soit programmée, mercredi 14 octobre, avec le ministère des Affaires sociales et de la Santé et l'agence régionale de santé (ARS) du Nord-Pas-de-Calais, pour tenter de mobiliser les pouvoirs publics.
"Il y a près de 4 000 réfugiés aujourd'hui à Calais" et, parmi eux, "beaucoup de familles, beaucoup de gamins, beaucoup de violences aussi, y compris sexuelles", alerte Jean-François Corty, en regrettant que "les associations interviennent en substitution de l'Etat", alors que ce dernier se doit de répondre à ce qui constitue une véritable "crise humanitaire, dans la sixième puissance mondiale".