Début août, plus de 100 associations locales et nationales – dont Autisme France, le Collectif EgaliTED, Sésame Autisme ou l'Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) – dénonçaient "des placements abusifs d'enfants à l'ASE [aide sociale à l'enfance]", après que, en Isère, trois enfants ont été retirés à leur mère. Selon elles, ces enfants sont en fait atteints de troubles envahissants du développement, ce que nient, protestent-elles, les services de l'ASE, qui accuseraient la famille d'être responsable des difficultés de leurs enfants. Le conseil départemental de l'Isère s'est aussitôt défendu en rappelant que le juge avait décidé ce placement "sur un certain nombre de motifs" et qu'il s'appuyait sur "des éléments concrets, notamment médicaux et sur des échanges avec les enfants".
Un rapport au vitriol
Pour les associations, "des dizaines de familles avec un ou plusieurs enfants autistes qu'elles essaient de faire diagnostiquer" seraient, à tort, "menacées de placement". Elles s'appuient sur un rapport au vitriol d'Autisme France qui dénonce "les signalements abusifs récurrents pour les familles avec un ou plusieurs enfants autistes". Parmi les dysfonctionnements listés dans le document : la formation des personnels qui interviennent dans les signalements et le suivi des mesures de protection de l'enfance, jugés "plus que lacunaires". "Les difficultés de comportement de certains enfants autistes, bien connues des parents, sont analysées par ceux qui n'ont pas les connaissances nécessaires sur les troubles du spectre de l'autisme comme des carences éducatives", poursuit le rapport. "Dès qu'un handicap peut générer un trouble du développement ou une automutilation par exemple, on a affaire à des suspicions de carences affectives", déplore Christel Prado, présidente de l'Unapei, qui attribue ce phénomène à la méconnaissance des dernières recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) portant sur le diagnostic de l'autisme. A la suite de cette montée au créneau du secteur, la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, Ségolène Neuville, doit recevoir, le 1er septembre, Autisme France, le Collectif EgaliTED et Envol Isère Austisme.
Aucun chiffre disponible
Alors qu'aucun chiffre n'est disponible sur le nombre d'enfants handicapés placés à l'ASE et que la question reste peu étudiée, le défenseur des droits a, de son côté, décidé de se saisir de la question en consacrant son rapport annuel, publié le 20 novembre, à l'occasion de la journée internationale des droits de l'enfant, au thème "Enfants handicapés et protection de l'enfance", rapport pour lequel les associations ont été sollicitées. Dans sa contribution, la Fnaseph (Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap) estime que les familles ayant des enfants handicapés "font probablement au minimum sept fois plus souvent l'objet d'une transmission d'information préoccupante que les autres". Démarche qui, dans de nombreux cas, "était manifestement abusive". Même lorsque l'affaire est classée sans suite, "les familles auront vécu un énorme stress, alors même que la vie de parents d'enfants handicapés est déjà très souvent fortement génératrice de stress", pointe le rapport. Dans certains cas, les familles "se voient imposer des mesures d'assistance éducative inefficaces et inutiles car les services sociaux ne connaissent par le handicap et ignorent tout des besoins éducatifs particuliers des enfants pour lesquels ils sont supposés apporter une assistance éducative". Le 18 août, le Collectif citoyen handicap a déposé une saisine auprès du défenseur des droits pour "dysfonctionnement" des services de l'ASE, qu'il accuse d'"acharnement (...) contre les parents d'enfants en situation de handicap qui subissent, de façon répétitive, de nombreuses enquêtes".
Des accusations "caricaturales"
De leur côté, les professionnels de la protection de l'enfance réfutent l'idée d'un dysfonctionnement généralisé. S'il reconnaît que le dispositif reste "perfectible et ne sera jamais infaillible", Jean-François Kerr, membre du bureau de l'ANDEF (Association nationale des directeurs de l'enfance et de la famille), indique qu'il y a, parmi les jeunes suivis par l'ASE, "une plus forte prévalence d'enfants présentant des troubles du comportement ou des retards" que dans la population générale. Il appartient toutefois à l'évaluation de l'information préoccupante "de définir si, et dans quelle mesure, la carence éducative est à l'origine du retard dans le développement de l'enfant". Il précise que l'un des premiers objectifs de l'évaluation est d'accompagner les parents qui ont des difficultés de relation avec leurs enfants. Il juge "caricaturales" les accusations d'Autisme France, pour lui "contraires à ce qui fait l'éthique des travailleurs sociaux, des médecins de PMI et des puéricultrices, qui ne cherchent pas à placer mais à comprendre une situation". Par ailleurs, il rappelle que, dans le cas de situations complexes, la multiplicité des intervenants qui, à différents stades de la procédure, examinent le dossier – les professionnels de l'ASE, le substitut du procureur puis le juge des enfants – doit permettre d'éviter les erreurs. L'Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), quant à elle, apporte son soutien à tous les professionnels de la protection de l'enfance de l'Isère et estime qu'"il est déplorable d'instrumentaliser certaines défaillances dans la prise en compte de l'autisme et de ses spécificités pour légitimer toutes les accusations".
Reste que ces situations complexes renvoient à la fois au diagnostic des troubles envahissants du développement et à l'amélioration de l'évaluation des situations de danger, l'un des objectifs de la protection de l'enfance. Selon la feuille de route 2015-2017 présentée le 19 août par Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat à la famille, l'une des orientations de la réforme de la protection de l'enfance est justement de renforcer les équipes chargées de l'évaluation de l'information préoccupante en soutenant la formation et la pluridisciplinarité.