C'est un euphémisme de dire que l'Association des paralysés de France (APF) n'est pas enthousiasmée par le projet d'ordonnance relative à l'accessibilité présenté jeudi 19 juin aux associations représentatives des personnes en situation de handicap, aux associations d'élus locaux et aux branches professionnelles des collectivités territoriales, par la secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, Ségolène Neuville.
"Scandalisée", "révoltée"…, l'APF n'a pas de mots assez forts pour faire part de sa colère et de sa déception face à ce texte élaboré à l'issue d'une négociation lancée par le gouvernement à l'automne dernier pour faire suite aux préconisations du rapport de Claire-Lise Campion et afin de "définir un cadre qui instaure de façon irréversible une dynamique de mise en accessibilité de la société", selon les termes du communiqué diffusé jeudi par les services de Ségolène Neuville.
Délais inacceptables
"Le gouvernement va-t-il ordonner une France inaccessible ?", s'interrogeait ainsi l'APF après la dernière réunion organisée avec la secrétaire d'Etat, que les représentants de l'association ont d'ailleurs quittée avant son terme. Parmi ses motifs d'exaspération : les délais "inacceptables envisagés pour concrétiser l'accessibilité" (jusqu'à 10 ans supplémentaires), liés notamment à "la souplesse sans limite ni contrôle" du dispositif des agendas d'accessibilité programmée (Ad'AP), "que ce soit en amont de la procédure (prolongation sine die du dépôt des Ad'AP, avis préfectoral favorable faute de décision explicite de l'Etat, etc.), pendant son cours (possibilité de demander des prorogations ou des suspensions), ou en aval (faiblesse des amendes encourues, attestation de fin d'Ad'AP par photographies et factures pour les ERP de 5e catégorie)".
Une souplesse "qui incite au laissez-faire" pour l'APF, qui s'agace également de "la part trop belle donnée aux 'difficultés financières' des établissements alors que plusieurs dispositifs d'aides et de prêts existent" ou encore l'ajout de nouveaux motifs de dérogation.
Autant de "dispositions tout à fait inacceptables dont certaines n'ont jamais été abordées durant les 140 heures de réunions dites de 'concertation'", comme "la possibilité de reporter indéfiniment un dépôt d'Ad'AP", poursuit l'organisation, qui a recensé ses positions dans un avis détaillé.
Esprit de la loi "dénaturé"
"Sous couvert de modifier la loi handicap de 2005, ce projet d'ordonnance vient dénaturer la lettre et l'esprit de cette loi par un dispositif trop laxiste alors que l'APF attendait un dispositif persuasif", s'indigne encore l'association, exigeant du gouvernement une modification de ce texte "s'il veut donner une chance à la France de ne plus être un 'pays en situation de handicap'".
A lire le communiqué de Ségolène Neuville, ces discussions ont au contraire "permis d'aboutir à un équilibre et à des avancées normatives en faveur d'un objectif : faire progresser de façon concrète l'accessibilité".
Après avoir rappelé que la commission mixte paritaire (CMP) de l'Assemblée nationale et du Sénat avait adopté mardi soir (17 juin) le projet de loi d'habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnance sur l'accessibilité des établissements recevant du public, des transports, de la voirie et des espaces publics, la secrétaire d'Etat souligne que la "mesure majeure", à savoir la création des Ad'AP, va permettre de "formaliser l'engagement des acteurs à réaliser les travaux de mise en accessibilité dans un calendrier précis et resserré".
Avant d'ajouter que ces agendas "ne constituent pas un abandon ou un recul de l'objectif de mise en accessibilité" puisque, pour tous ceux qui ne s'inscriront pas dans la démarche, "les sanctions pénales de la loi de 2005 s'appliqueront". Et, en réponse à la critique émise par l'APF, "les Ad'AP ne repoussent pas de 10 ans supplémentaires l'impératif de mise en accessibilité". Toujours selon les précisions apportées par Ségolène Neuville, les gestionnaires d'ERP auront un an pour présenter un projet d'agenda, la durée de ces Ad'AP prenant en compte la "diversité des situations" : trois ans au maximum pour 80 % des ERP, six ans pour les patrimoines rassemblant plusieurs ERP et, enfin, neuf ans "à titre exceptionnel" pour des "patrimoines lourds et complexes mais avec des réalisations échelonnées".